Vérisme

Interdiction des transfusions sanguines chez les Témoins de Jéhovah

Document technique publié le 12/02/2025.

Table des matières

Introduction

Les transfusions sanguines ont été interdites en 1945, soit 26 ans après que les Témoins de Jéhovah aient commencés à être guidés par Jésus en 1919. En 1961, la punition pour une personne qui recevrait une transfusion est devenue l’exclusion complète de la communauté, y compris sa propre famille. À partir des années 2000, l’utilisation de traitements basés sur des "fractions" sanguines a été autorisée. Ces changements successifs s’expliquent par le fait que les Témoins de Jéhovah s’autorisent à réviser leurs propres doctrines, sans prétention à l’infaillibilité.

Leur position sur les transfusions sanguines est certainement l’une de leurs plus controversés. Elle mérite donc d’être examinée en détails, en dépit du fait qu’elle soit susceptible d’être à nouveau révisée un jour.

Les Témoins de Jéhovah ne devraient pas s’y opposer, compte tenu de ce que disait leur deuxième dirigeant :

« L’erreur recherche toujours l’obscurité, tandis que la vérité cherche la lumière. L’erreur se refuse toujours à l’examen, la lumière réclame une investigation complète et profonde. » — Président Rutherford

Nous ne rentrerons pas, ou très peu, dans l’aspect social et controversé de cet enseignement, mais nous ne le considérerons que dans une perspective proprement doctrinale.

De plus, pour éviter toute controverse inutile, nous présenterons les citations de la Bible dans la traduction du monde nouveau, qui est celle utilisée par les Témoins de Jéhovah. Bien qu’elle soit controversée, elle ne présente pas de différences significatives sur les versets qui nous intéressent. Pour la même raison, les extraits des textes présentant les enseignements des Témoins utilisent leurs propres traductions.

Position des Témoins de Jéhovah

Dans le livre Vivez pour toujours, qui est utilisé par les Témoins de Jéhovah pour guider leurs « cours bibliques », la question des transfusions sanguines est abordée dans la leçon 39, intitulée "Le point de vue de Dieu sur le sang" :

« Que signifie s’abstenir du sang ? Si un médecin vous demande de vous abstenir d’alcool, vous n’allez pas en boire. Mais est-ce que vous allez manger de la nourriture qui en contient ou vous en injecter dans les veines ? Non, bien sûr. De la même façon, quand Dieu nous demande de nous abstenir de sang, cela signifie que nous ne devons pas en boire, ni manger de la viande qui n’a pas été saignée ou d’aliment dans lequel du sang a été ajouté. »

Sur les questions plus proprement médicales, voici ce qui est dit :

« Que dire de l’utilisation du sang dans le domaine médical ? Certains traitements sont clairement contraires à la loi de Dieu. Il s’agit notamment de la transfusion de sang total ou d’un de ses composants principaux : les globules rouges, les globules blancs, les plaquettes et le plasma. Mais d’autres traitements ne sont pas clairement contraires à la loi de Dieu. Par exemple, des traitements utilisent des fractions d’un des composants principaux du sang. Et des techniques utilisent le sang du patient lui-même. Dans ces cas-là, c’est à chacun de décider ce qu’il fera. »

Ainsi, on peut dire que la position des Témoins de Jéhovah est que l’interdiction de la consommation alimentaire de sang s’étend aux transfusions médicales du sang complet, ainsi qu’à ses « composants principaux », mais pas aux « fractions » de ces composants.1

Les passages bibliques cités pour appuyer ces propositions sont les suivants :

« Cependant, vous ne devez pas manger la chair avec sa vie — son sang. » — Genèse 9:4

« Si un homme du peuple d’Israël ou un étranger qui habite parmi vous mange n’importe quelle sorte de sang, à coup sûr je rejetterai celui qui mange le sang et je le retrancherai du milieu de son peuple. » — Lévitique 17:10

« Car l’esprit saint et nous-mêmes avons jugé bon de ne pas vous ajouter d’autre fardeau que ces choses qui sont nécessaires : vous abstenir de ce qui a été sacrifié aux idoles, du sang, de ce qui est étouffé et des aactes sexuels immoraux. Si vous vous interdisez strictement ces choses, tout ira bien pour vous. Portez-vous bien ! » — Actes 15:28-29

Il est à noter que l’interdiction de la consommation alimentaire de sang est répétée de nombreuses fois dans la Bible même en dehors de ces quelques versets. Cependant, les exemples donnés sont représentatifs. Tous parlent de l’interdiction de consommer du sang de manière alimentaire.

Dans le livret Comment raisonner à partir des Écritures ?, dans le chapitre dédié au sang, les Témoins citent des Pères de l’Église pour justifier leur position. Cependant, ces citations peuvent être considérées comme purement rhétoriques dans la mesure où les Témoins ne prennent pas les Pères comme des autorités. Ils vont jusqu’à les présenter comme « ceux qui se disaient chrétiens », sous-entendant qu’ils ne l’étaient pas réellement, certainement car ils soutenaient des doctrines telles que l’âme, l’enfer et la divinité du Christ. Ils n’apportent de toute façon rien de nouveau à la discussion qui ne soit pas déjà couvert dans le livre des Actes, et nous pouvons donc ignorer ces citations.

1. La partie concernant les composants et les fractions est apparue pour la première fois dans la Tour de Garde du 15 juin 2000, dans les questions des lecteurs, en réponse à la question "Les Témoins de Jéhovah acceptent-ils tous les produits médicaux dérivés du sang ?".

Cohérence interne

Tous les passages dont il est question parlent de consommation alimentaire du sang, aucun ne parle de transfusion. Chronologiquemennt, il y a une certaine logique : les transfusions n’ont réellement commencé à être pratiquées à grande échelle qu’à partir du XIXème siècle. La loi mosaïque est beaucoup plus ancienne et s’adressait à des personnes qui n’étaient pas concernées par ce problème.

Lorsque les Témoins de Jéhovah disent que « certaines transfusions sont clairement contraires à la loi de Dieu », le mot « clairement » est de trop. La loi de Dieu est complètement silencieuse sur le sujet et toute tentative d’en tirer un enseignement se repose nécessairement sur un effort d’interprétation, qui est donc humain et critiquable. Cela est d’autant plus vrai que le Collège Central des Témoins de Jéhovah révise régulièrement ses propres positions, ce qui montre que la supposée « guidance » qu’il reçoit de Dieu ne le rend pas infaillible. C’est d’autant plus vrai qu’aucun autre groupe religieux juif ou chrétien n’est arrivé à la même conclusion.

Or, les Témoins de Jéhovah justifient l’autorisation des transfusions de « fractions » sanguines en ces termes :

« Le commandement de s’abstenir du sang englobe-t-il aussi les fractions sanguines ? Nous ne pouvons pas répondre de façon catégorique à cette question. La Bible ne donne pas d’instructions précises à propos des fractions sanguines. […] Chaque chrétien doit donc déterminer enécoutant sa conscience s’il acceptera ou non l’utilisation médicale de ces substances. » — Ministère du Royaume, novembre 2006, question "Quelles décisions vais-je prendre concernant les fractions sanguines et les procédés médicaux faisant appel à l’utlisation de mon sang ?"

Dans le cas des fractions, le Collège Central dit donc de manière on ne peut plus explicite que si la Bible ne donne pas d’instructions précises et catégoriques sur un sujet, alors c’est à chacun de décider en son âme et conscience. En revanche, dans le cas des transfusions sanguines, sur lesquelles la Bible est muette, le Collège Central s’autorise à imposer son interprétation particulière. Il y a là une incohérence.

Les Témoins ont donc le droit de bénéficier de traitement dérivés des dons sanguins des autres, mais eux-mêmes ne donnent pas leur sang, cela leur étant interdit. Il y a là une autre incohérence, et pire, une violation du principe de réciprocité : ils jouissent de la générosité des autres sans rien donner en retour.

Troisième incohérence : les Témoins disent que leurs enseignements dérivent de la Bible, mais on n’y trouve nul part cette notion des principaux composants du sang et des fractions plus petites.2 C’est là une extrapolation basée sur des données médicales extérieures à la Bible3, et on peut douter de son bien-fondé, au moins sur deux points. Le premier est que Dieu autorise de consommer du lait, aussi bien celui d’animaux que le lait maternel pour un bébé, et il s’avère que ce lait contient beaucoup de globules blancs, pourtant identifiés par les Témoins comme l’un des principaux composants du sang. S’ils étaient cohérents, ils devraient interdire la consommation de lait aux adultes, et peut-être aux enfants, ou alors les exempter de ce commandement tant qu’ils reçoivent l’allaitement. Le second est que l’hémoglobine, qui est considéré comme une fraction secondaire par les Témoins, représente une partie très importante du sang4, au point d’être ce qui lui donne sa couleur rouge, et que la classer comme une « fraction » n’a rien de bien intuitif. Les globules rouges sont faits d’hémoglobine entourée d’une fine peau. Est-ce que retirer la peau change la nature de la chose ? Est-ce qu’une clémentine cesse d’être une clémentine quand on retire sa peau ?

Mettons que les Témoins de Jéhovah aient la prétention d’appliquer une méthode cohérente aux commandements bibliques. Ne pourrait-on pas dire que, si une personne vole une voiture, alors elle n’a pas le droit de s’en servir, ni de ses parties principaux comme le moteur ou le chassis, mais que si elle les découpe en fractions plus petites, alors cela deviendrait licite ? Après tout, Dieu n’a rien précisé quant aux fractions des objets volés.

Nous ne disons pas cela pour pousser les Témoins de Jéhovah à rejeter l’utilisation médicale des fractions du sang. Au contraire, nous espérons qu’en prenant conscience de toutes les absurdités que comportent les enseignements du Collège Central sur le sang, ils accepteront toutes sortes de transfusions, quitte à les cacher à leurs congrégations pour échapper aux lourdes répercussions sociales d’un tel acte.

2. Une hypothèse beaucoup plus crédible quant à son origine serait que le Collège Central cherche, depuis les années 2000, à limiter au maximum les effets nocifs de cet enseignement mais sans pouvoir le renverser totalement. Après tout, plus de 30 000 Témoins ont perdu la vie en appliquant cette règle, et l’organisation leur a dévoué une vaste « martyrologie » ; il est trop tard pour faire facilement machine arrière.

3. On aimerait d’ailleurs que les Témoins de Jéhovah soient plus transparents sur l’origine de cette doctrine. Par quelle procédure les quatre composants principaux du sang ont-ils été déterminés ?

4. L’hémoglobine compose 15 % du volume sanguin mais son utilisation est autorisée alors que les globules blancs, qui en composent moins de 1 %, sont interdits.

Pertinence de l’analogie

Le livre Comment raisonner à partir des Écritures ? reprend la même analogie que celle présentée précédemment :

« Une transfusion revient-elle vraiment à manger du sang ? Dans un hôpital, lorsqu’un patient ne peut s’alimenter par la bouche, il est nourri par voie intraveineuse. Dès lors, quelqu’un qui n’absorberait jamais du sang par la bouche, mais qui en accepterait par transfusion, obéirait-il réellement à l’ordre de "s’abstenir du sang" ? On pourrait illustrer ce fait en prenant le cas d’un malade à qui son médecin prescrirait de s’abstenir d’alcool. Le patient obéirait-il si, tout en se gardant de boire de l’alcool, il se l’introduisait directement dans les veines ? »

C’est une analogie médicale dont la pertinence est contestée par les médecins eux-mêmes. La nourriture et l’alcool sont des éléments extérieurs au corps qui peuvent lui être assimilés de différentes façons, mais médicalement, la place du sang est dans les veines. Le sang réagit très différemment en fonction de s’il est ingéré par la bouche ou injecté dans les veines.

D’ailleurs, les médecins déconseillent de manger du sang parce que cela présente des risques pour la santé :

« Boire du sang humain ou animal peut présenter des risques graves au niveau de la santé, notamment celui d’attraper des maladies transmises par le sang. Les professionnels médicaux ne recommandent pas cette pratique. »5

À nouveau : la place du sang est dans les veines, pas dans l’estomac.

Cela dit, même s’ils le déconseillent, nul doute qu’ils considèrent que c’est mieux que de mourir de faim. Une personne à qui le médecin aurait interdit l’alcool devrait-elle se laisser mourir, si les seules sources auxquelles elle pouvait s’abreuver étaient alcoolisées ? La question n’est pas sans importance dans la mesure où il n’est pas juste question d’éviter le sang au quotidien, mais bien de refuser des transfusions dans des situations médicales où la vie du patient est en danger.

Les Témoins de Jéhovah disent que Dieu considère que le sang est sacré, mais il n’y a aucun verset de la Bible qui le dise explicitement. Les arguments des Témoins pour arriver à cette conclusion sont problématiques. Ils citent des versets qui se réfèrent au sang du Christ, mais ceux-ci le considèrent comme sacré non pas parce que c’est du sang, mais parce que c’est celui du Christ, et ce serait faire preuve d’un orgueil considérable de croire que notre sang est aussi sacré que le sien. De même, dire que « la vie est dans le sang » n’est pas un argument, puisque tout le monde est d’accord là-dessus ; c’est même précisément pour cette raison que l’on peut mourir d’un manque de sang et que les transfusions sauvent des vies.

La loi de Moïse accorde une place centrale à l’hygiène et une grande partie de ses efforts furent dédiés à enseigner les bonnes pratiques à son peuple pour éviter les maladies. Ainsi, il est tout à fait possible de lire l’interdiction de la consommation du sang dans ce cadre, comme une règle hygiénique de plus, à peu près équivalente au conseil des médecins contemporains de s’abstenir du sang.

Cela dit, même si l’on ignore cet aspect, l’analogie reste problématique. Est-ce que l’interdiction biblique de la violence implique d’interdire la chirurgie, puisque le chirurgien découpe son patient avec une lame, ce qui est similaire ? Pour les Témoins de Jéhovah, la réponse est non, mais qu’est-ce qui justifie cette différence de traitement ? Il y a là une incohérence de plus.

5. "Drinking Blood: Is It Safe?", Healthline. (Archive)

Analyse biblique

Le Collège Central prétend baser ses enseignements sur la Bible. C’est là une hypothèse qui a le mérite de pouvoir être testée. Comparons leurs enseignements sur les tranfusions sanguines à ce que dit réellement le texte et voyons s’ils disent vrai, ou s’ils comptent simplement sur le fait que leus fidèles ne liront pas le texte trop attentivement. Se faisant, nous agirons comme nous le dicte justement la Bible :

« Les Juifs de Bérée avaient des sentiments plus nobles que ceux de Thessalonique, car ils accueillirent la parole avec le plus grand empressement, examinant soigneusement les Écritures chaque jour pour vérifier que ce qu’on leur disait était exact. » — Actes 17:11

a. Les Chrétiens et le sang

Dans le Christianisme, on considère généralement que Jésus a « accompli la Loi » et que les Chrétiens n’ont pas à suivre la loi de Moïse, bien qu’ils doivent suivre les préceptes moraux dont elle était une manifestation. La plupart des Chrétiens considèrent que l’interdiction de la consommation du sang tombe dans cette catégorie, et est aujourd'hui levée.

Voici ce que disait Jésus en Matthieu 15 :

« 10. Puis il appela la foule et dit : "Écoutez et comprendez bien : 11. ce n’est pas ce qui entre dans sa bouche qui rend un homme impur, mais c’est ce qui sort de sa bouche." »

Il est vrai qu’il y a des passages dans les Actes où il est dit que les Chrétiens doivent s’abstenir de la viande sacrifiée aux idoles et de la consommation de sang. Cependant, il n’est pas dit que c’est parce que ce serait moralement mal de le faire. C’est St Paul qui donne l’explication de cet interdit, et le réconcilie avec la citation du Christ ci-dessus, en I Corinthiens 8 :

« 4. Pour ce qui est de manger des alments offerts aux idoles, nous savons qu’une idole n’est rien du tout et qu’il n’y a qu’un seul Dieu. […] 8. De tels aliments ne nous rapprochent pas de Dieu ; si nous n’en mangeons pas, nous ne sommes pas perdants, et si nous en mangeons, nous ne sommes pas gagnants. 9. Mais faites toujours attention que votre droit de décider n’amène pas ceux qui sont faibles à trébucher. […] 13. C’est pourquoi, si un aliment fait trébucher mon frère, non, je ne mangerai plus jamais de viande, pour ne pas faire trébucher mon frère. »

L’interdit du sang n’a donc pas de valeur absolue dans un cadre chrétien mais est un simple moyen visant à éviter que les autres ne chutent.

b. Pikuach Nefesh

« Vous devez respecter mes ordonnances et mes règles ; celui qui agit ainsi vivra grâce à elles. » — Lévitique 18:5

« Puis je leur ai donné mes décrets et je leur ai fait connaître mes règles, afin que l’homme qui y obéit reste en vie grâce à elles. » — Ézekiel 20:11

Ces deux passages bibliques présentent un principe biblique important, que les Juifs appellent « Pikuach Nefesh » : la loi de Dieu est là pour promouvoir la vie. La préservation de la vie est première et, dans une situation où obéir à la loi divine mettrait une vie en danger, il devient non seulement licite, mais bien obligatoire, d’ignorer la loi.

Jésus a confirmé ce principe en guérissant lors du sabbat à de nombreuses reprises, souvent en s’opposant aux pharisiens : Marc 3:1–6, Luc 4:38–41, Luc 6:6–10, Luc 13:10–17, Luc 14:1–6, Jean 5:1–18, etc.

Deux citations sont tout à fait explicites à cet égard :

« Puis il leur dit : "Si votre fils ou votre taureau tombe dans un puits, qui d’entre vous ne l’en fera pas sortir immédiatement, même le jour du sabbat ?" » — Luc 14:56

« Il ajouta : "Le sabbat a été fait pour l’homme, et pas l’homme pour le sabbat. » — Marc 2:27

Le sabbat est très important pour les Juifs, au point que le violer faisait encourir la peine de mort7, et pourtant, s’il faut l’ignorer pour préserver la vie, alors qu’il en soit ainsi. Ainsi, si l’on applique les principes bibliques, alors les transfusions sanguines sont autorisées si elles permettent de sauver des vies.

6. On trouve un passage similaire en Matthieu 12:11–12.

7. Exode 35:2

c. Les hommes de Saül

« 31. Ce jour-là, l’armée de Saül poursuivit les Philistins de Mikmash à Ayalôn pour les tuer. Et les soldats étaient de plus en plus fatigués. 32. Alors ils se précipitèrent sur le butn avec avidité : ils prirent des moutons, des bovins et des veaux, ils les tuèrent par terre, et ils mangèrent la viande avec le sang. 33. Quelqu’un avertit alors Saül : "Écoute ! Les soldats sont en train de pécher contre Jéhovah en mangeant de la viande avec le sang." Saül s’écria : "Vous avez agi avec infidélité ! Roulez immédiatement une grande pierre vers moi." 34. Puis il dit : "Passez parmi les soldats et dites : "Chacun de vous doit amener son taureau et son mouton. Vous les tuerez ici. Ensuite vous les mangerez. Ne péchez pas contre Jéhovah en mangeant la viande avec le sang"." Chaque soldat amena donc un taureau, cette nuit-là, et le tua sur la grande pierre. » — I Samuel 14:31–34

Dans ce passage de la Bible, nous avons très explicitement un groupe de personnes qui violent l’interdit du sang mais qui ne sont pas punies pour cela. Qu’est-ce qui explique cette impunité ?

Cette question a été abordée dans la Tour de Garde du 15 avril 1994, dans les questions des lecteurs. La réponse est assez longue et fait beaucoup de présuppositions gratuites, mais en voici la conclusion principale :

« Il semble que Jéhovah se soit montré miséricordieux parce qu’il savait quels efforts les soldats avaient faits malgré leur grande fatigue et leur faim. »

Apparemment, la fatigue des soldats de Saül justifie la miséricorde divine. Auquel cas, pourquoi est-ce qu’un Témoin de Jéhovah sur son lit de mort n’en serait pas digne ? Il y a là une incohérence, un deux poids deux mesures.

Motifs médicaux

Les Témoins de Jéhovah sont une organisation très uniformisée, et qui se fait une fierté de son uniformisation. Les Témoins apprennent tous les mêmes techniques pour parler aux personnes extérieures au groupe, qui sont notamment présentées dans le livre Comment raisonner à partir des Écritures ?

Il s’avère que celui-ci a une section dédiée au sang. Si un non-Témoin pose des questions sur le refus des transfusions, voici ce que les Témoins apprennent à répondre :

« En fait, l’utilisation [de substituts au sang] permet d’éviter les dangers des transfusions. Une publication médicale fait remarquer : "Aux risques de la transfusion sanguine s’opposent les avantages des substituts du plasma : ceux-ci permettent, en effet, d’éviter l’infection bactérienne ou virale, les réactions transfusionnelles et la sensibilisation par le sang Rh." […] Du fait qu’ils rejettent les transfusions, les Témoins de Jéhovah bénéficient en réalité de meilleurs soins médicaux. »

Le texte continue de broder sur le même thème, mais nous abrégeons.

On ne trouve pas cet argument dans les textes internes des Témoins de Jéhovah, destinés à expliquer leur doctrine. La vraie raison de l’interdiction est qu’ils considèrent que la Bible l’enseigne. Il est donc malhonnête de leur part de prétendre que leurs raisons de refuser les transfusions sont médicales alors que ce n’est pas le cas.

Si une personne est dans une situation où elle mourra si elle ne reçoit pas de transfusion sanguine rapidement, qu’est-ce qui est préférable, d’un point de vue strictement médical ? Une mort certaine, ou une infection certes possible mais très peu probable ?

Il va sans dire que cette réponse n’est pas seulement malhonnête, elle est mensongère. Non seulement les médecins mettent en avant les avantages indéniables des transfusions, mais les Témoins de Jéhovah eux-mêmes parlent souvent en interne de leurs « martyrs », qui ont préféré mourir que d’accepter une transfusion sanguine. Par exemple, dans le Réveillez-vous !€ du 22 mai 1994, il est écrit :

« Des jeunes qui accordent à Dieu la priorité : Dans les temps anciens, des milliers de jeunes gens sont morts pour avoir accordé à Dieu la priorité. Aujourd’hui encore, des jeunes montrent la même détermination, à ceci près qu’ils le font dans des hôpitaux et des salles de tribunal, et qu’il est question de transfusions sanguines. »

Cela montre l’hypocrisie des Témoins de Jéhovah. Si refuser les transfusions était effectivement meilleur pour la santé, de telles paroles seraient absurdes.

Contaminations psychiques

Dans la Tour de Garde du 15 janvier 1962, on peut lire ceci :

« "Ibn Esdras pense que la consommation du sang a un effet corrupteur sur la nature morale et la nature physique et transmet une tare hérédtaire aux générations futures." Voilà une remarque intéressante, qu peut aussi s’appliquer à la transfusion sangune, comme cela est attesté par des médecins. Par exemple, dans son livre Who is Your Doctor and Why? (Qui est votre médecin et pourquoi ?), le docteur Alonzo Jay Shadman déclare : "Le sang d’une personne est en fait la personne elle-même. Il renferme tous les traits distinctifs de l’individu qui en est le doneur. Cela comprend les tares héréditaires, les prédispositions aux maladies, les poisons imputables à ses habitudes particulières de manger, de boire et de vivre […] Les poisons qui poussent au suicide, au meurtre, au vol, sont dans le sang." C’est ce que confirme aussi Américo Valério, médecin brésilien et chirurgien depuis plus de quarante ans.voici ce que déclare ce praticien : "L’aliénation mentale, les perversions sexuelles, le refoulement, les complexes d’infériorité, les délits simples, tout cela forme souvent le cortège de la transfusion sanguine." Pourtant, ainsi que l’admet la presse, les organismes ayant un stock de sang déclaré sans danger, vont collecter du sang chez des criminels qui possèdent ces traits caractéristiques.8 Est-il besoin de dire qu’aucun de ceux qui veulent renoncer aux œuvres de la chair et employer leur vie selon la manière prescrite par la Parole de Dieu n’est disposé à se préparer un pareil avenir ? »

Nous avons là une nouvelle ligne d’argumentation, qui est dans la continuité de celle des motifs médicaux mais en partant dans des aspects beaucoup plus spéculatifs. On ne la retrouve pas dans les principales publications des Témoins de Jéhovah et ils ne semblent pas l’utiliser au quotidien ; nous la citons avant tout par soucis d’exhaustivité.

Il faut garder à l’esprit que les Témoins ne croient pas en l’existence d’une âme. Ils sont matérialistes sur ce point et considèrent que l’homme n’est que son corps. En partageant cette hypothèse, ils semblent donc spéculer sur le fait que le sang serait le porteur d’éléments physiques qui auraient un impact sur la personnalité.

Cependant, en citant Ibn Esdras, qui est une autorité traditionnelle, les Témoins se rapprochent d’une position beaucup plus orthodoxe, mais qui se repose en réalité sur l’existence d’une âme. En effet, le sang est « l’âme de la chair »9. Voici ce qu’en dit René Guénon :

« [Le sang est] le siège ou plutôt le support de la vitalité animale proprement dite, [qui] constitue effectivement l’un des liens de l’organisme corporel avec l’état subtil de l’être vivant, lequel est proprement l’« âme » (nephesh haiah de la Genèse), c’est-à-dire, au sens étymologique (anima), le principe animateur ou vivificateur de l’être. […] En fait, le sang est, même au simple point de vue physiologique, le véhicule de la chaleur animatrice. […] Par suite, on peut dire que le sang est en rapport direct avec le côté inférieur de l’état subtil ; et de là vient l’interdiction du sang comme nourriture, son absorption entraînant celle de ce qu’il y a de plus grossier dans la vitalité animale, et qui, s’assimilant et se mêlant intimement aux éléments psychiques de l’homme, peut effectivement amener de fort graves conséquences. De là aussi l’emploi fréquent du sang dans les pratiques de magie, voire de sorcellerie (comme attirant les entités « infernales » par conformité de nature) ; mais, d’autre part, ceci est aussi susceptible, dans certaines conditions, d’une transposition dans un ordre supérieur, d’où les rites, soit religieux, soit même initiatiques (comme le « taurobole » mithriaque), impliquant des sacrifices d’animaux ; comme il a été fait allusion, à cet égard, au sacrifice d’Abel opposé à celui, non sanglant, de Caïn. » — "Quelques remarques sur le nom d’Adam"

Ces données traditionnelles paraîtront certainement "païennes" aux yeux des Témoins. Pourtant, c’est bel et bien à cela que Ibn Esdras faisait référence, et c’est là un mécanisme susceptible d’expliquer la "contamination psychique" qui touche ceux qui reçoivent du sang de détenus, bien qu’il soit toujours possible qu’il ne s’applique qu’à l’ingestion alimentaire. Il faut aussi garder à l’esprit que de telles contaminations peuvent très bien être préférables à la mort pure et simple.

8. L’article fait référence à des opérations de collectes de sang ayant lieu dans des prisons.

9. Lévitique 17:14

Conclusion

Nous devons conclure que la doctrine du sang des Témoins de Jéhovah est traversée par des contradictions profondes, aussi bien d’un point de vue purement interne que lorsqu’elle est confrontée aux données médicales ou à ce que dit réellement la Bible sur le sujet. Elle est donc condamnable non seulement en raison de sa grande dangerosité sociale, mais aussi sur la base de la raison et d’une lecture rigoureuse des Écritures. Le Collège Central, sur ce point comme sur bien d’autres, a inventé une position non biblique et a ensuite cherché à la justifier par des versets pris isolément et des arguments malhonnêtes.

Verdict : Il n’y a rien dans la Bible qui interdise les transfusions sanguines et les principes bibliques semblent plutôt aller dans le sens de leur autorisation, bien qu’ils n’en parlent pas de manière explicite. En revanche, l’interdiction totale des transfusions par le Collège Central est une violation de la loi biblique, qui enseigne clairement de faire passer la préservation de la vie avant des considérations d’ordre purement cultuelles.