Tahrif
Document technique publié le 07/01/2025.
Table des matières
Introduction
Le tahrif (« déformation » ou « corruption ») est un concept musulman désignant les erreurs de sens et d’interprétation de la Bible par les Juifs et les Chrétiens. Il se base sur l’interprétation de certains passages du Coran qui indiquent que certains dans ces religions ont perverti les enseignements de Dieu. En effet, il n’est pas rare que les croyants se reposent sur leur clergé pour leur lire et leur expliquer les Écritures, ce qui leur donnait une occasion d’en déformer le sens.
Un second courant interprétatif, plus tardif et moins authentique, considère que les textes eux-mêmes ont été modifiés de manière à servir certains intérêts. Elle a aujourd’hui gagné en popularité car la mise en conflit à grande échelle des religions causée par la mondialisation excite les exclusivismes. Le présent article vise avant tout à défendre l’interprétation ancienne contre les innovations.
L’interprétation récente est non seulement contraire au Coran, elle est également proche d’une forme de blasphème. Il est dit du Coran qu’il est le quatrième livre révélé, après la Torah, les Psaumes1 et les Évangiles. Allah passerait pour singulièrement incompétent s’il avait oublié de protéger les trois premiers livres et n’aurait pensé à le faire qu’au quatrième, cela viendrait contredire sa sagesse et sa miséricorde. Cela voudrait dire que Jésus aurait averti ses disciples que la révélation qu’il apportait serait vite corrompue et que la venue du Paraclet ne servirait qu’à réparer cette erreur.
Une telle interprétation entrerait également en contradiction avec les connaissances historiques que nous avons maintenant sur l’authenticité des écritures chrétiennes. La recherche historique a établi que celles-ci ont été transmises intactes depuis l’Antiquité, les quelques variantes dans les manuscrits ne représentant aucun changement doctrinal important. Or, si les paroles de Jésus ont été transmises intactes, alors les textes juifs, bien plus anciens, l’ont également été, puisque Jésus en a validé l’authenticité — d’ailleurs, les Chrétiens eux-mêmes les utilisent et s’y réfèrent.
Il est également important de remarquer que la distorsion du sens et de l’interprétation n’était pas un phénomène qui n’existait qu’à l’époque de Mahomet. Aujourd'hui encore, il y a des Juifs, des Chrétiens et des Musulmans qui choisissent des passages des Écritures et en ignorent d’autres afin de donner l’impression que la révélation dit ce qu’elle ne dit pas. À travers ces condamnations, le Coran met en garde contre la tentation d’interpréter les textes de façon biaisée, qui n’est pas propre à certains groupes mais concerne toute l’humanité.
1. Le Coran mentionne quatre fois un livre nommé "Zabur" révélé au Roi David : 3:184, 4:163, 17:55 et 21:105. La tradition l’assimile au livre des Psaumes qui est le seul livre de la Bible à avoir été écrit en très grande majorité par David, bien que quelques dizaines de psaumes soient attribués à d’autres auteurs.
Dans le Coran
Les versets sont classés ici dans l’ordre du texte coranique plutôt que de manière thématique ou chronologique.
« Mais, à ces paroles, les pervers en substituèrent d'autres, et pour les punir de leur fourberie Nous leur envoyâmes du ciel un châtiment avilissant. » — Coran 2:59
Ce verset utilise un langage peu clair ; il est dit qu’il y a eu des substitutions de paroles mais il n’est pas précisé à quel niveau cela a lieu. Est-ce qu’ils lisent une chose et en disent une autre ? Est-ce qu’ils ont modifié les textes ? Pour le savoir, il faut le mettre en parallèle avec les autres versets.
« 75. Eh bien, espérez-vous [Musulmans], que des pareils gens [les Juifs] vous partageront la foi ? Alors qu'un groupe d'entre eux, après avoir entendu et compris la parole d'Allah, la falsifièrent sciemment ? 76. Et quand ils rencontrent des croyants, ils disent : "Nous croyons" ; et, une fois seuls entre eux, ils disent : "Allez-vous confier aux musulmans ce qu'Allah vous a révélé pour leur fournir, ainsi, un argument contre vous devant votre Seigneur ? Êtes-vous donc dépourvus de raison ?". 77. Ne savent-ils pas qu'en vérité Allah sait ce qu'ils cachent et ce qu'ils divulguent ? » — Coran 2:75-77
La formulation implique que ceux qui falsifient la parole d’Allah ont accès au texte complet, dont ils choisissent de cacher certaines parties pour en donner une impression biaisée. Il n’y a donc pas de corruption du texte mais seulement de son exégèse.
« 78. Et il y a parmi eux des illettrés qui ne savent rien du Livre hormis des prétentions et ils ne font que des conjectures. 79. Malheur, donc, à ceux qui de leurs propres mains composent un livre puis le présentent comme venant d'Allah pour en tirer un vil profit ! — Malheur à eux, donc , à cause de ce que leurs mains ont écrit, et malheur à eux à cause de ce qu'ils en profitent ! » — Coran 2:78-79
Le verset 2:79 est parfois cité en dehors de son contexte car il est le seul à mentionner explicitement une falsification des textes. Cependant, le verset précédent indique clairement qu’il parle de personnes qui ne connaissent rien aux Écritures. Cela ne peut pas être les Juifs et les Chrétiens car il leur est dit à de nombreuses reprises de vérifier leurs textes sacrés pour constater que le Coran les confirme. Même lorsque certains d’entre eux sont accusés de cacher des choses des révélations, il est toujours dit qu’ils le font en connaissance de cause, et donc qu’ils connaissent les Écritures. L’accusation vise plutôt des gens comme Raël, ou plutôt ses équivalents de l’époque, c’est-à-dire des faux prophètes opportunistes plutôt que des institutions religieuses bien établies.
« Et quant leur vint d'Allah un Livre confirmant celui qu'ils avaient déjà, — alors qu'auparavant ils cherchaient la suprématie sur les mécréants, — quand donc leur vint cela même qu'ils reconnaissaient, ils refusèrent d'y croire. Que la malédiction d'Allah soit sur les mécréants ! » — Coran 2:89
Le Coran n’est pas une révélation qui sort de nul part mais il vient confirmer les Écritures précédentes. Cette affirmation s’ancre dans une démarche apologétique : les gens du livre sont censés comparer le Coran à leurs propres textes pour constater qu’il les confirme, ce qui indique qu’il est bel et bien censé correspondre à leur contenu à l’époque de Mahomet. Cela contredit directement l’idée d’une corruption des textes en eux-mêmes. En effet, s’ils avaient été corrompus, il ne leur serait pas demandé de confirmer les deux textes ; il serait précisé qu’il n’en confirme que la partie légitime, le reste étant corrompu.
« Et quand on leur dit : "Croyez à ce qu'Allah a fait descendre", ils disent : "Nous croyons à ce qu'on a fait descendre à nous". Et ils rejettent le reste, alors qu'il est la vérité confirmant ce qu'il y avait déjà avec eux. — Dis : "Pourquoi donc avez-vous tué auparavant les prophètes d'Allah, si vous étiez croyants ?". » — Coran 2:91
Deuxième mention de la confirmation des Écritures par le Coran, toujours en disant que les contemporains de Mahomet pouvaient la vérifier en comparant les différents textes de l’époque.
« Dis : "Quiconque est ennemi de Gabriel doit connaître que c'est lui qui, avec la permission d'Allah, a fait descendre sur ton cœur cette révélation qui déclare véridiques les messages antérieurs et qui sert aux croyants de guide et d'heureuse annonce". » — Coran 2:97
Troisième mention de la confirmation des Écritures par le Coran.
« Et quand leur vint d'Allah un messager confirmant ce qu'il y avait déjà avec eux, certains à qui le Livre avait été donné, jetèrent derrière leur dos le Livre d'Allah comme s'ils ne savaient pas ! » — Coran 2:101
Quatrième mention de la confirmation des Écritures par le Coran.
Il est dit explicitement qu’il aurait été possible aux contemporains de Mahomet de constater la confirmation des Écritures en se référant à elles mais qu’ils préfèrent les « mettre dans leur dos », ce qui indique qu’ils avaient encore les révélations intactes et que c’est leur attitude qui était problématique. S’ils n’avaient que des Écritures corrompues, ils ne pourraient pas les cacher et le texte indiquerait plutôt que c’est à cause de la corruption des textes qu’ils n’ont pas cru.
« Ou dites-vous qu'Abraham, Ismaël, Isaac et Jacob et les tribus étaient Juifs ou Chrétiens ?" — Dis : "Est-ce vous les plus savants, ou Allah ?" — Qui est plus injuste que celui qui cache un témoignage qu'il détient d'Allah ? Et Allah n'est pas inattentif à ce que vous faites. » — Coran 2:140
Comme dans le verset précédent, l’accusation est de cacher les révélations, ce qui implique logiquement et nécessairement qu’ils les possèdent encore. Ils n’auraient pas pu cacher un témoignage dont ils n’auraient pas encore eu la possession.
« Certes ceux qui cachent ce que Nous avons fait descendre en fait de preuves et de guide après l'exposé que Nous en avons fait aux gens, dans le Livre, voilà ceux qu'Allah maudit et que les maudisseurs maudissent. » — Coran 2:159
Comme pour les deux versets précédents.
« Il a fait descendre sur toi le Livre avec la vérité, confirmant les Livres descendus avant lui. Et Il fit descendre la Torah et l'Évangile » — Coran 3:3
Cinquième mention de la confirmation des Écritures par le Coran.
« 77. Ceux qui vendent à vil prix leur engagement avec Allah ainsi que leurs serments n'auront aucune part dans l'au-delà, et Allah ne leur parlera pas, ni les regardera, au Jour de la Résurrection, ni ne les purifiera ; et ils auront un châtiment douloureux. 78. Et il y a parmi eux certains qui roulent leur langues en lisant le Livre pour vous faire croire que cela provient du Livre, alors qu'il n'est point du Livre ; et ils disent : "Ceci vient d'Allah", alors qu'il ne vient pas d'Allah. Ils disent sciemment des mensonges contre Allah. 79. Il ne conviendrait pas à un être humain à qui Allah a donné le Livre, la Compréhension et la Prophétie, de dire ensuite aux gens : "Soyez mes adorateurs, à l'exclusion d'Allah" ; mais au contraire, [il devra dire] : "Devenez des savants, obéissant au Seigneur, puisque vous enseignez le Livre et vous l'étudiez". » — Coran 3:77-79
Ici, certains Juifs et Chrétiens — pas tous, seulement certains — sont accusés de jouer sur la prononciation des mots pour détourner le texte de son sens lorsqu’ils en font des récitations. Il n’y a donc pas de corruption du texte mais bien du sens de celui-ci. Le passage se termine par la confirmation que les gens du Livre ont accès à des révélations intactes.
« Et lorsqu'Allah prit cet engagement des prophètes : "Chaque fois que Je vous accorderai un Livre et de la Sagesse, et qu'ensuite un messager vous viendra confirmer ce qui est avec vous, vous devez croire en lui, et vous devrez lui porter secours." Il leur dit : "Consentez-vous et acceptez-vous Mon pacte à cette condition ?" — "Nous consentons", dirent-ils. "Soyez-en donc témoins, dit Allah. Et Me voici, avec vous, parmi les témoins. » — Coran 3:81
Sixième mention de la confirmation des Écritures par le Coran.
« Dis : "Nous croyons en Allah, à ce qu'on a fait descendre sur nous, à ce qu'on a fait descendre sur Abraham, Ismaël, Isaac, Jacob et les Tribus, et à ce qui a été apporté à Moïse, à Jésus et aux prophètes, de la part de leur Seigneur : nous ne faisons aucune différence entre eux ; et c'est à Lui que nous sommes Soumis". » — Coran 3:84
Croire aux révélations apportées à Moïse et Jésus est un commandement coranique. Les Musulmans qui leur jettent le discrédit ne suivent pas le Coran.
« Allah prit, de ceux auxquels le Livre était donné, cet engagement : "Exposez-le, certes, aux gens et ne le cachez pas". Mais ils l'ont jeté derrière leur dos et l'ont vendu à vil prix. Quel mauvais commerce ils ont fait ! » — Coran 3:187
Voir le commentaire du verset 2:101. Pour qu’ils puissent cacher le Livre, encore faut-il qu’ils l’aient à disposition. S’ils n’avaient que des versions corrompues de la Révélation, la formulation aurait été très différente.
« Il en est parmi les Juifs qui détournent les mots de leur sens, et disent : "Nous avions entendu, mais nous avons désobéi", "Écoute sans qu'il te soit donné d'entendre", et favorise nous "Raina", tordant la langue et attaquant la religion. Si au contraire ils disaient : "Nous avons entendu et nous avons obéi", "Écoute", et "Regarde-nous", ce serait meilleur pour eux, et plus droit. Mais Allah les a maudits à cause de leur mécréance ; leur foi est donc bien médiocre. » — Coran 4:46
Ici encore, le Coran est parfaitement explicite sur la nature de la déformation : il s’agit de « détourner les mots de leur sens » et non de modifier directement le texte révélé.
« Ô vous à qui on a donné le Livre, croyez à ce que Nous avons fait descendre, en confirmation de ce que vous aviez déjà, avant que Nous effacions des visages et les retournions sens devant derrière, ou que Nous les maudissions comme Nous avons maudit les gens du Sabbat. Car le commandement d'Allah est toujours exécuté. » — Coran 4:47
Septième mention de la confirmation des Écritures par le Coran.
« Certes Allah ne pardonne pas qu'on Lui donne quelqu'associé. À part cela, Il pardonne à qui Il veut. Mais quiconque donne à Allah quelqu'associé commet un énorme péché. » — Coran 4:48
Bien que ce verset ne touche pas directement aux Écritures précédentes, il est explicite sur le fait que tous les monothéistes sont susceptibles d’aller au paradis, indépendamment de leur obédience religieuse.
« 13. Et puis, à cause de leur violation de l'engagement, Nous les avons maudits et endurci leurs cœurs : ils détournent les paroles de leur sens et oublient une partie de ce qui leur a été rappelé. Tu ne cesseras de découvrir leur trahison, sauf d'un petit nombre d'entre eux. Pardonne-leur donc et oublie [leurs fautes]. Car Allah aime, certes, les bienfaisants. 14. Et de ceux qui disent : "Nous sommes chrétiens", Nous avons pris leur engagement. Mais ils ont oublié une partie de ce qui leur a été rappelé. Nous avons donc suscité entre eux l'inimitié et la haine jusqu'au Jour de la Résurrection. Et Allah les informera de ce qu'ils faisaient. 15. Ô gens du Livre ! Notre Messager (Muhammad) vous est certes venu, vous exposant beaucoup de ce que vous cachiez du Livre, et passant sur bien d'autres choses ! Une lumière et un Livre explicite vous sont certes venus d'Allah ! » — Coran 5:13-15
Huitième mention de la confirmation des Écritures par le Coran.
À nouveau, il est indiqué que la nature de la corruption des Écritures se trouve dans le sens et l’interprétation plutôt que dans les textes eux-mêmes. Certains Juifs et Chrétiens sont accusés de cacher une partie des Écritures, ce qui implique qu’ils y aient accès dans leur intégralité. Si Allah avait voulu dire qu’ils n’avaient accès qu’à des textes corrompus, il se serait exprimé différemment.
« Ô Messager ! Que ne t'affligent point ceux qui concourent en mécréance ; parmi ceux qui ont dit : "Nous avons cru" avec leurs bouches sans que leurs cœurs aient jamais cru et parmi les Juifs qui aiment bien écouter le mensonge et écouter d'autres gens qui ne sont jamais venus à toi et qui déforment le sens des mots une fois bien établi. Ils disent : "Si vous avez reçu ceci, acceptez-le et si vous ne l'avez pas reçu, soyez méfiants". Celui qu'Allah veut éprouver, tu n'as pour lui aucune protection contre Allah. Voilà ceux dont Allah n'a point voulu purifier les cœurs. À eux, seront réservés, une ignominie ici-bas et un énorme châtiment dans l'au-delà. » — Coran 5:41
Ce passage est explicite sur le fait qu’il s’agisse d’une déformation de sens et d’interprétation plutôt qu’une modification du texte.
« 43. Mais comment te demanderaient-ils d'être leur juge quand ils ont avec eux la Torah dans laquelle se trouve le jugement d'Allah ? Et puis, après cela, ils rejettent ton jugement. Ces gens-là ne sont nullement les croyants. 44. Nous avons fait descendre la Torah dans laquelle il y a guide et lumière. C'est sur sa base que les prophètes qui se sont soumis à Allah, ainsi que les rabbins et les docteurs jugent les affaires des Juifs. Car on leur a confié la garde du Livre d'Allah, et ils en sont les témoins. Ne craignez donc pas les gens, mais craignez Moi. Et ne vendez pas Mes enseignements à vil prix. Et ceux qui ne jugent pas d'après ce qu'Allah a fait descendre, les voilà les mécréants. 45. Et Nous y avons prescrit pour eux vie pour vie, œil pour œil, nez pour nez, oreille pour oreille, dent pour dent. Les blessures tombent sous la loi du talion. Après, quiconque y renonce par charité, cela lui vaudra une expiation. Et ceux qui ne jugent pas d'après ce qu'Allah a fait descendre, ceux-là sont des injustes. 46. Et Nous avons envoyé après eux Jésus, fils de Marie, pour confirmer ce qu'il y avait dans la Torah avant lui. Et Nous lui avons donné l'Évangile, où il y a guide et lumière, pour confirmer ce qu'il y avait dans la Torah avant lui, et un guide et une exhortation pour les pieux. 47. Que les gens de l'Évangile jugent d'après ce qu'Allah y a fait descendre. Ceux qui ne jugent pas d'après ce qu'Allah a fait descendre, ceux-là sont les pervers. 48. Et sur toi (Muhammad) Nous avons fait descendre le Livre avec la vérité, pour confirmer le Livre qui était là avant lui et pour le préserver. Juge donc parmi eux d'après ce qu'Allah a fait descendre. Ne suis pas leurs passions, loin de la vérité qui t'est venue. À chacun de vous Nous avons assigné une législation et un plan à suivre. Si Allah avait voulu, certes Il aurait fait de vous tous une seule communauté. Mais Il veut vous éprouver en ce qu'Il vous donne. Concurrencez donc dans les bonnes oeuvres. C'est vers Allah qu'est votre retour à tous ; alors Il vous informera de ce en quoi vous divergiez. » — Coran 5:43-48
Neuvième mention de la confirmation des Écritures par le Coran.
Ce passage est le plus explicite sur le fait que les Juifs et les Chrétiens ont encore des écritures intactes et qu’il est bon pour eux de les suivre. L’existence de plusieurs communautés religieuses fait partie de la volonté divine.
« Ils n'apprécient pas Allah comme Il le mérite quand ils disent : "Allah n'a rien fait descendre sur un humain." Dis : "Qui a fait descendre le Livre que Moïse a apporté comme lumière et guide, pour les gens ? Vous le mettez en feuillets, pour en montrer une partie, tout en cachant beaucoup. Vous avez été instruits de ce que vous ne saviez pas, ni vous ni vos ancêtres. Dis : "C'est Allah". Et puis, laisse-les s'amuser dans leur égarement. » — Coran 6:91
Il convient de remarquer que le verset parle explicitement de gens qui nient qu’il y ait eu ne serait-ce qu’un prophète ; ce ne sont donc pas des personnes appartenant aux courants dominants du Judaïsme et du Christianisme mais bien des hétérodoxes. Il leur est reproché de faire de la « cueillette des cerises » pour leur argumentation, c’est-à-dire de choisir les parties du texte pouvant être interprétées dans leur sens en ignorant tout le reste.
Cette mise en garde reste pertinente aujourd’hui en raison de la menace que représentent des approches telles que la « méthode critique » sur les textes sacrés, qui les découpe en parties jugées « authentiques » ou non de manière à vider le texte de toute possibilité d’inspiration divine.
« Ce Coran n'est nullement à être forgé en dehors d'Allah mais c'est la confirmation de ce qui existait déjà avant lui, et l'exposé détaillé du Livre en quoi il n'y a pas de doute, venu du Seigneur de l'Univers. » — Coran 10:37
Dixième mention de la confirmation des Écritures par le Coran.
« Dans leurs récits il y a certes une leçon pour les gens doués d'intelligence. Ce n'est point là un récit fabriqué. C'est au contraire la confirmation de ce qui existait déjà avant lui, un exposé détaillé de toute chose, un guide et une miséricorde pour des gens qui croient. » — Coran 12:111
Onzième mention de la confirmation des Écritures par le Coran.
« Et ils disent : "Pourquoi ne nous apporte-t-il pas un miracle de son Seigneur ? La Preuve (le Coran) de ce que contiennent les écritures anciennes ne leur est-elle pas venue ? » — Coran 20:133
Douzième mention de la confirmation des Écritures par le Coran.
« Et ce que Nous t'avons révélé du Livre est la Vérité confirmant ce qui l'a précédé. Certes Allah est Parfaitement Connaisseur et Clairvoyant sur Ses serviteurs. » — Coran 35:31
Treizième mention de la confirmation des Écritures par le Coran.
« Il est plutôt venu avec la vérité et il a confirmé les messagers (précédents), » — Coran 37:37
Quatorzième mention de la confirmation des Écritures par le Coran.
« Et avant lui, il y avait le Livre de Moïse, comme guide et comme miséricorde. Et ceci est [un livre] confirmateur, en langue arabe, pour avertir ceux qui font du tort et pour faire la bonne annonce aux bienfaisants. » — Coran 46:12
Quinzième mention de la confirmation des Écritures par le Coran.
« Ils dirent : "Ô notre peuple ! Nous venons d'entendre un Livre qui a été descendu après Moïse, confirmant ce qui l'a précédé. Il guide vers la vérité et vers un chemin droit. » — Coran 46:30
Seizième mention de la confirmation des Écritures par le Coran.
Opinion des savants
La situation globale du tahrif chez les savants a été résumée de cette façon :
« La question de savoir si les Juifs et les Chrétiens ont réellement altéré les livres qui leur ont été transmis ou s’ils ont tordu leurs interprétations en conservant un texte fidèle est un sujet de débat dans la tradition intellectuelle islamique. Bien que des commentateurs et théologiens tardifs aient souvent été de l’opinion que les Juifs et les Chrétiens aient réellement changé le texte de la Bible, dont l’exemple parfait fut le savant du cinquième / onzième siècle Ibn Hazm, les commentateurs plus anciens n’étaient pas aussi prompts à attaquer le texte de la Bible et préféraient voir la « déformation » comme un acte d’interprétation fautive, voire malicieuse. » — The Study Quran, commentaire du verset 2:75
L’interprétation la plus ancienne est celle que la déformation touche la façon dont le texte est compris et non le texte en lui-même, ce qui est en parfait accord avec ce que dit le Coran. L’idée d’une corruption textuelle est une innovation tardive.
Ainsi, Abdullah ibn Abbas (619–687), cousin du Prophète qui est considéré comme le père de l’exégèse coranique, a dit :
« "Ils déforment la parole de Dieu" signifie "ils altèrent ou changent sa significaition", et pourtant personne ne peut changer le moindre mot de n’importe quel Livre de Dieu. La signification est qu’ils les interprètent mal. » — Kitaab Al-Tawheed, Baab Qawlu Allah Ta'ala, Bal Huwa Qur'aanun Majeed, fi lawhin Mahfooth
Il dit encore :
« Le mot "Tahrif" [corruption] signifie faire dévier une chose de sa nature originiale ; et il n’y a aucun homme qui pourrait corrompre un seul mot de ce qui vient de Dieu, ainsi les Juifs et les Chrétiens ne pouvaient corrompre qu’en trahissant le sens de la parole de Dieu. » — Cité dans l’article "Imam Muhammad Isma'il al-Bukhari" dans Dictionary of Islam, T. P. Hughes.
Tabari (838–923), grand savant et exégète du Coran, disait la même chose :
« […] le premier chronologiquement fut la Torah, qui est entre les mains des Gens du Livre […] tout comme l’Évangile, qui est entre les mains des Chrétiens, et dont la majeure partie relate l’histoire du Christ, sa naissance et sa vie. » — The Book of Religion and Empire, Tabari, p. 51
Rhazès (865–925), qui est l’un des plus grands savants du monde musulman non seulement dans les sciences religieuses mais également dans un grand nombre d’autres domaines, écrit :
« Comment pourrait-il y avoir la moindre altéaration dans un Livre qui avait atteint un haut niveau de diffusion en Orient comme en Occident ? […] Aucun changement ne peut avoir lieu dans un livre qui est bien répandu parmi les hommes. Tout homme raisonnable peut voir que l’altération de la Bible était impossible car elle était bien répandue parmi des hommes de différentes fois et cultures. » — p. 327 de son Troisième Volume
Fakhr ad-Dîn ar-Râzî (1149–1209), grand savant lui aussi, surnommé le Sultan des Théologiens, avança une analyse similaire :
« Les Juifs et les premiers Chrétiens furent suspectés d’avoir altéré le texte de la Tawrat et de l’Injil, mais l’opinion des docteurs et théologiens éminents est qu’une telle déformation du texte était impossible en pratique, parce que ces Écritures étaient très connues largement diffusées, ayant été transmises de génération en génération. »
Al-Qurtubi (1214–1273) dit, dans son commentaire de 5:13 :
« Ils [les Juifs] interprètent mal [les textes] et donnent au peuple des interprétatons fausses. »
Ibn Kathir (1300–1373), grande autorité sunnite dont le commentaire du Coran est le plus étudié dans le monde musulman, citait un hadith allant dans ce sens. Il faut rappeler que les textes les plus anciens que nous ayons pour le Nouveau Testament datent de moins de deux siècles après la mort du Christ :
« [Mahomet dit, à propos des Juifs et des Chrétiens :] "David est mort entouré de ses amis. Ils n’ont pas dévié, et n’ont pas déformé [leurs livres]. Les amis du Christ sont restés sous ses ordres et sa guidande pendant deux siècles." » — Al-Bidaya wa al-Nihaya, Ibn Kathir
Mohamed Abduh (1849–1905), qui fut Grand Mufti d’Égypte, dit :
« […] l’accusation de déformation des textes bibliques est complètement absurde. Il n’était pas possible pour les Juifs et les Chrétiens du monde de se coordonner pour changer le texte. Même si ceux d’Arabie l’avaient fait, la différence entre leur livre et celui de leurs confrères, mettons en Syrie et en Europe, aurait été flagrante. […] Nous croyons que ces Évangiles sont le véritable Évangile. » — Cité dans Jesus, The Life of the Messiah, Jacques Jomier
Contrairement à la partie sur le Coran, cette sélection d’opinions de savants allant dans notre sens n’a pas vocation à être exhaustive, mais simplement illustrative.
Sed contra
Objection : On a un autre hadith de Ibn Abbas où il semble dire le contraire.
Ibn Abbas dit : « Ô Musulmans, pourquoi interrogez-vous les gens du Livre, alors que le vôtre [le Coran], qui a été révélé par son Prophète, est le plus récent qui vienne de Dieu et que vous le récitez, et qu’il n’a pas été corrompu ? Dieu vous a révélé que les gens du Livre ont changé de leurs propres mains ce qui leur a été révélé et dirent "Cela vient de Dieu" afin d’en tirer un bénéfice dans ce monde. » Ibn Abbas ajouta : « Les connaissances qui vous ont été révélées ne sont-elles pas suffisantes pour que vous n’ayez pas à les interroger ? Par Dieu, je n’ai jamais vu aucun d’entre eux interroger les Musulmans sur ce qui leur a été révélé. »
Réponse : Nous avons cité précédemment des hadiths de Ibn Abbas où il affirme que les textes en question n’ont pas été corrompus. Nous faisons donc face à une contradiction apparente, mais qui est en réalité facile à résoudre pour qui connaît bien les écritures.
En effet, la formulation de Ibn Abbas, comme quoi ils inventent leur propre texte en prétendant qu’il est de Dieu pour en tirer profit dans ce monde, est une référence explicite au verset 2:79. Dans le contexte de ce verset, il est clair qu’il ne parle pas de tous les gens du Livre, mais seulement d’un groupe spécifique parmi eux. Ainsi, c’est contre ce groupe spécifique que Ibn Abbas met en garde les Musulmans. Sa mise en garde pourrait soit consister à dire d’éviter ce groupe en particulier, soit dire d’éviter les gens du Livre en général pour éviter de tomber sur ce groupe. Les deux sont des interprétations raisonnables.
Aujourd'hui, parmi les principaux groupes chrétiens, on trouve les Mormons, qui ont rajouté aux textes révélés le Livre de Mormon, qui est une supercherie. La situation est donc très proche de celle dont parle le Coran et Ibn Abbas. Dans une société où les Mormons représenteraient une partie importante des Chrétiens, ce genre de mises en garde prendraient tout leur sens.
Il est donc possible de réconcilier ce hadith avec les autres de Ibn Abbas, ainsi qu’avec le Coran et les connaissances scientifiques actuelles sur l’histoire de la Bible. En revanche, si l’on voulait aller dans le sens d’une corruption textuelle, cela deviendrait impossible.
⁂
Objection : Al-Albani, qui est un spécialiste des hadiths, en a authentifié un certain nombre qui vont dans le sens d’une corruption textuelle.
Réponse : Nous avons nos désaccords avec al-Albani, ses méthodes, et de manière plus générale, avec la soi-disant école « salafiste ». Détailler ces considérations nous ferait sortir du cadre de la présente étude, mais étant donné qu’on ne peut pas se fier à al-Albani, qu’il ait authentifié tel ou tel hadith n’a aucune importance.
Sur ce point, nous nous contenterons de citer un autre spécialiste en hadiths, Mahmud Sa'id Mamduh :
« En effet, je suis arrivé à la conclusion que ses méthodes contredisent celles des juristes et des spécialistes en hadiths, et qu’elles créent une grande confusion et un chaos évident dans les preuves de la jurisprudence, aussi bien dans la méthode générale que sur des questions spécifiques. Il ne fait pas confiance aux Imams de la loi et des hadiths, ni dans la riche tradition juridique et relative aux hadiths que nous avons reçue, et dont la oumma est si fière. » — Cité dans BROWN Jonathan, The Canonization of Al-Bukhari and Muslim, Brill. p. 328.
⁂
Objection : Les textes sacrés des Juifs et des Chrétiens contiennent des choses incompatibles avec certaines croyances musulmanes, comme que Jésus serait Dieu et serait mort crucifié, ou encore que Salomon serait tombé dans l’idolâtrie.
Réponse : Il est vrai que les textes présentent un certain nombre de contradictions apparentes et de difficultés.
Cependant, c’est le cas même à l’intérieur des textes eux-mêmes, y compris le Coran. Par exemple, en 35:8, il est dit que « Dieu égare qui il veut, et guide qui il veut », alors qu’en 30:9, il est dit que « Ce n’est pas Dieu qui leur fit du tort ; mais ils se firent du tort à eux-mêmes. » Qui est donc responsable de l’errance des hommes, Dieu ou eux-mêmes ? De même, en 51:56, Dieu dit « Je n’ai créé les djinns et les hommes que pour qu’ils m’adorent. » Or, en 35:15, il est dit « Ô hommes, c’est vous les indigents qui avez besoin de Dieu ». Est-ce que c’est Dieu qui a besoin des hommes, ou l’inverse ?
De telles difficultés dans le sens apparent du texte ne signifient pas que tout est à jeter, mais simplement qu’il faut les lire en faisant plus attention, en appliquant certaines distinctions conceptuelles, etc. De même, les incompatibilités apparentes entre les écritures juives et chrétiennes d’une part, et l’Islam d’autre part, pourront être résolues avec un travail de bonne foi et la grâce de Dieu.
Étant donné que le Coran, les savants les plus anciens, la raison et même l’état actuel des connaissances historiques nous enseignent que les textes juifs et chrétiens n’ont pas été textuellement corrompus, alors il ne peut logiquement pas y avoir de contradiction profonde entre eux et l’Islam, puisque tous viennent de la même source, à savoir Dieu.
Fatwa vériste
Fatwa : Les textes sacrés juifs et chrétiens, notamment la Torah, les Psaumes et l’Évangile, n’ont pas été altérés textuellement. Les déformations qu’ils ont subi selon le Coran sont des erreurs d’interprétation et non une modification des textes en eux-mêmes. Dieu protège ses révélations. Ceux qui le nient en disant que les Écritures ont été textuellement corrompues sont dans l’erreur. Ceux qui nient que le sens de l’Écriture puisse être soumis à des erreurs d’interprétation sont dans l’erreur. Ceux qui nient que les gens du Livre ont parfois produit de faux textes sacrés, par exemple le Livre de Mormon, sont dans l’erreur.