The Contradictions of Hannah Arendt's Political Thought (Compte-rendu)
20/02/2025. Compte-rendu d'un article de Margaret Canovan, publié en 1978.
Nous ne sommes pas spécialement familiers avec la pensée politique d'Hannah Arendt et le présent article nous permet de nous y plonger plus en détails, bien que nous connaissions déjà certains de ses apports. L'approche de Canovan permet effectivement un certain résumé, non pas en l'exposant directement, mais pour qui sait lire entre les lignes de ses critiques.
Arendt critique les théories déterministes de l'histoire humaine, comme le matérialisme dialectique marxiste qui réduit tout aux rapports économique, ou le racisme nazi qui fait tout découler de la biologie. Elle préfère accorder à l'homme une part de libre-arbitre, à considérer que l'histoire est faite par des grands hommes dans des périodes exceptionnelles, comme la Grèce antique, dont la période classique fut très courte mais également très influente. Cependant, ce libre-arbitre ne peut se manifester que dans certaines circonstances. Le statut d'esclave, d'animal laborans, qui exécute un travail purement mécanique ne nécessitant aucune réflexion, mutile l'âme et la rend incapable d'accéder à la liberté réelle. Cette mutilation fait qu'ils n'arrivent pas à aspirer à plus qu'à la seule satisfaction des appétits corporels, qu'à "consommer". C'est pourquoi, en Grèce, les cités étaient divisées entre citoyens libres formant une polis démocratique et esclaves incapables d'y participer, bien qu'ils soient indispensables à son bon fonctionnement, en délivrant les maîtres du besoin.
Or, depuis l'industrialisation, le statut d'esclave s'est étendu à de plus en plus d'hommes, les ouvriers, et la démocratie les a fait accéder à la polis, qu'ils pervertissent par leurs âmes mutilées. Cela mène d'abord à des sociétés obsédées par l'économie, puis au totalitarisme et au génocide, qui sont les conséquences de la "société de masse". Le parallèle avec Rousseau s'impose de lui-même : la démocratie est souhaitable mais n'est réalisable qu'avec un matériau humain que la société n'aurait pas dégradé.
Canovan considère que cette théorie présente plusieurs contradictions. La principale est qu'elle semble impliquer que les "masses", en particulier la classe ouvrière, soient incapables d'action politique libre. Pourtant, Hannah Arendt applaudit la révolution hongroise de 1956, le mouvement pour les droits civiques aux États-Unis, ou encore celui contre la guerre du Vietnam, comme autant d'exemples d'action politique libre. De plus, la forme politique qu'elle précognise est la démocratie de conseils, sans en exclure aucunement les "masses". Il y a donc une tension entre son élitisme et ses tendances démocrates, qui pourtant se trouvent côte à côte dans des textes écrits en même temps. Il n'y a pas eu de changement d'opinion d'Arendt mais bien une cohabitation d'idées contradictoires.
Autre contradiction : à quoi bon remplacer la démocratie américaine par une démocratie de conseils, si la première permet déjà la manifestation libre d'actions politiques authentiques, susceptibles d'avoir un impact réel ?
Canovan pointe également du doigt un grand nombre de difficultés dans la façon dont ces conseils sont censés fonctionner chez Arendt. Puisqu'elle distingue la politique de l'économique, du social et de l'administratif, de quoi s'occuperaient-ils ? Comment seraient gérés ces éléments ? Est-ce que ceux qui voudraient s'impliquer en politique recevraient un salaire ? Si oui, est-ce qu'ils ne se transformeraient pas en politiciens professionnels, comme on en a aujourd'hui ? Si non, est-ce que l'activité politique ne deviendrait pas réservée aux riches, aux étudiants et aux chômeurs ? On pourrait ajouter que les conseils anarchistes se sont avérés incapables d'organiser une résistance militaire efficace durant la guerre d'Espagne.
Ces difficultés ne sont pas des contradictions. Le côté contradictoire est plutôt que Hannah Arendt ne semble pas savoir si elle fait de l'utopisme abstrait, qui n'a pas besoin de répondre aux objections quant à son fonctionnement concret, ou si elle veut présenter un projet politique concret.
Bien que l'article parle effectivement de certaines contradictions dans la pensée politique d'Arendt, il ne touche pas aux points plus connus et controversés, comme la banalité du mal, historiquement associée à l'idée que les Juifs sont coresponsables de l'Holocauste, ou encore ses travaux sur la notion de totalitarisme. Nul doute qu'il y aurait encore beaucoup à dire. Cependant, les apports de Canovan semblent originaux et non triviaux, ce qui justifie pleinement l'existence de l'article, en dépit de son caractère brouillon, qui est un risque pour tous les travaux pionniers.
L'impression dominante qui ressort de la pensée politique d'Arendt est qu'elle manque de sérieux. Elle ne semble pas bien meilleure que celle d'Ayn Rand, et pourtant, Hannah Arendt est beaucoup plus respectée dans les milieux philosophiques que ne l'est la fondatrice de l'Objectivisme. Pourquoi ? La question mériterait également d'être traitée, bien que l'on puisse se douter que la réponse soit de l'ordre de mécanismes sociaux très humains et n'ayant rien à voir avec le mérite des auteurs.