Vérisme

Vérité

Brochure publiée le 07/01/2025.

Table des matières

Avant-propos

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Les brochures véristes sont une série de documents visant à aider ceux qui veulent se joindre à notre combat par le partage d’informations. Nous encourageons ceux qui ne nous connaissent pas à se renseigner avant de les lire.

Pour résumer, nous considérons que l’écologie profonde est la problématique la plus urgente de notre temps et que sa cause est la vision du monde matérialiste qui est dominante à notre époque. Pour faire face à cette crise, nous appelons à la formation d’une élite qui fondera un réseau de villages susceptible de résister à l’effondrement à venir et de faire surgir une nouvelle civilisation de ses cendres. Celle-ci aura nécessairement pour socle une spiritualité authentique.

Ces brochures ont donc deux objectifs. Le premier est de résumer notre position sur un ensemble de sujets afin que nos membres et sympathisants puissent se faire une idée claire de notre projet de société. Sans projet commun, l’action commune n’est pas possible ; il faut donc se coordonner et s’organiser. Le second est de leur donner des outils pour contribuer efficacement à la réalisation de notre grand projet.

Bien que le public cible soit nos membres et sympathisants, le contenu de ces brochures n’est pas secret. Elles peuvent être lues par n’importe qui souhaitant se renseigner sur notre mouvement.

La reproduction et la copie de ces brochures est autorisée aux conditions suivantes : que le texte ne soit pas modifié, qu’il soit explicitement attribué au mouvement vériste, et que la distribution n’engendre aucun profit.

Introduction

La journaliste Danielle Egan raconte qu’elle avait écrit un devoir sur l’existentialisme. Sa professeure lui avait mis un F, et avait souligné chaque utilisation des termes « vrai » et « vérité », en mettant un point d’interrogation à côté. Elle voulait savoir ce que Mlle Egan voulait dire par « vérité ». L’essai qui suit est notre réponse à cette question.

Après tout, nous comptons publier une série de documents sur la logique. Dans le cadre d’un tel projet, il convient de commencer par les bases, les fondamentaux, et notamment par ce qui constitue son but.

Une telle tâche pourrait sembler superflue. Après tout, la vérité est une notion dont nous avons une bonne compréhension intuitive. Nous allons donc partir de considérations élémentaires, basiques, qui n’ont rien de ien nouveau ni révolutionnaire, et nous contenter de donner des contours un peu plus précis à une notion qui reste floue pour beaucoup. Lorsqu’il s’agira d’examiner les autres façons dont ce terme est utilisé, par contre, nous devrons examiner un peu plus en détails ses fondations métaphysiques.

Chapitre 1 : Relativisme

Socrate, le père de la philosophie occidentale, a dédié sa vie à combattre un groupe de personnes très influent dans la Grèce de son époque, les sophistes, qui disaient que la vérité est relative. Il n’existerait pas une vérité unique, qui vaudrait pour tout le monde, mais chacun aurait sa propre vérité. La pensée humaine ne permettrait pas de découvrir des faits mais uniquement de convaincre autrui.

La motivation des sophistes était politique. Athènes était alors une démocratie qui considérait que le peuple était en quelque sorte infaillible. (Vox populi, vox dei, comme le veut le vieil adage latin.) Ce que les gens croient est donc d’importance primordiale, et celui qui sait influencer les croyances devient donc le maître de la réalité sociale. Or, il s’avère justement que les sophistes vendaient des cours de rhétorique pour enseigner aux jeunes nobles ambitieux l’art de la manipulation. Socrate s’opposait fermement à cette approche en insistant que la pensée humaine peut, si elle est appliquée rigoureusement, arriver à des vérités factuelles par la logique.

Cet épisode historique est riche en enseignements car une position similaire existe dans la société contemporaine. Certains disent que l’Inquisition et les Bolchéviques croyaient qu’ils détenaient la vérité objective et ont torturé beaucoup de personnes, donc cette position est dangereuse.

Le principal problème du relativisme est qu’il est contradictoire. La phrase « rien n’est objectivement vrai, tout est relatif » est-elle objectivement vraie ? Si oui, alors il y a quelque chose d’objectivement vrai, et il y a donc contradiction. Si non, alors elle n’est qu’un point de vue parmi d’autres, qui laisse ouvert la possibilité qu’une vérité objective existe ailleurs. On ne peut donc pas accepter à la fois le relativisme et les lois fondamentales de la logique, comme le principe de non-contradiction. Il faut donc tout rejeter en même temps, la vérité comme la logique, dans un grand plongeon dans l’absurde et l’irrationnalité.

Nos relativistes sont avant tout motivés par des raisons étrangères à la logique. Ce sont généralement des personnes très attachées aux notions de tolérance et d’égalité qui perçoivent, avec une certaine acuité, que la vérité est inégalitaire et intolérante. Alors qu’ils aimeraient un monde d’esprits libres, qui choisissent souverainement les positions auxquelles ils veulent se rattacher, qui seraient toutes égales entre elles, la vérité vient mettre son grain de sel. Elle divise les positions en deux catégories : les vraies et les fausses. Les premières sont vouées à la réussite, supérieures ; les secondes sont vouées à l’échec, inférieures. L’idéal d’égalité est bafoué, le principe hiérarchique est réintroduit. De plus, la vérité n’a aucune pitié et se montre particulièrement intolérante. Peu lui importe qu’un homme ait dédié sa vie à développer une théorie scientifique, elle ne s’en émeut pas le moins du monde et réduira à néant le travail de toute une existence s’il ne lui plaît pas.

Nietzsche avait dit ceci : « Partout où l'autorité est encore de bon ton, partout où l'on commande et où on ne « discute » pas, le dialecticien est une sorte de polichinelle. On se moque de lui, on ne le prend pas au sérieux. » La vérité se comporte de la même façon avec ceux qui défendent avec passion leurs positions : elle les méprise, les ignore, dans une souveraine inhumanité qui s’explique parfaitement par le fait qu’elle n’est pas un être humain mais un simple mécanisme du monde. Les serrures sont sourdes aux lamentations légitimes de l’homme qui a perdu ses clés ; c’est là le même phénomène.

Le problème de cette ligne d’objection n’est pas sa fausseté. Socrate s’opposait à la démocratie car il considérait que l’opinion du plus grand nombre n’a aucune importance et que ce sont les détenteurs de la vérité qui devraient prendre les décisions. Non, le problème est l’éternelle absurdité du relativisme. Pour qu’elle ait réellement du poids, il faudrait qu’elle soit vraie, ce qui serait contradictoire. Une objection qui ne serait que relative n’impressionnerait personne ; elle ne serait qu’une opinion parmi d’autres.

L’autre argument avancé est qu’il existe des désaccords, ce qui montrerait que la vérité est relative. En vérité, cela montre simplement qu’il existe des différences d’opinions. L’idée de vérité est qu’il existe une réalité objective, indépendante de nos esprits, et que nos modèles mentaux peuvent y correspondre ou non. Le simple fait que des modèles mentaux différents existent ne contredit aucunement cela ; on appelle simplement cela « avoir tort », ou « se tromper ». Si deux opinions sont réellement contradictoires entre elles de manière irréconciliable (ce qui n’est pas toujours le cas), alors au moins l’une des deux est fausse, et peut-être même les deux. Si elles ne peuvent pas être toutes les deux vraies en même temps, alors elles ne le sont pas, tout simplement.

En répondant à cet argument, on répond également au premier, puisque ce qui fonde la hiérarchie de la vérité n’est ni la richesse, ni la race, ni même l’intelligence, qui peut être utilisée de façon malhonnête, mais bien l’humilité. Le caractère inflexible de la vérité fait qu’elle favorise ceux qui sont prêts à ravaler leur égo, à accepter qu’ils se sont trompés, et à se soumettre humblement à une autorité extérieure à eux : la réalité. L’aristocratie à laquelle elle donne naissance n’est accessible qu’à ceux qui se sont débarrassés de leur orgueil infantile et qui ont attendri leur cœur par les échecs répétés et la confrontation avec la réalité.

Chapitre 2 : La carte et le territoire

À présent que l’existence d’une vérité objective a été défendue face à ses principales critiques, il nous faut à présent déterminer sa nature, sa structure. Bien que nous ayons tous une compréhension correcte de ce dont il s’agit, en donner une compréhension plus philosophiquement rigoureuse n’est pas sans intérêt.

Mettons que Bob range son chargeur de téléphone dans sa table de chevet avant de partir au travail. Alice, sa petite amie, le prend pour charger son propre téléphone dans la cuisine ; elle y laisse le chargeur. Lorsque Bob rentre du travail, où va-t-il chercher son chargeur ? Dans sa table de chevet, ou dans la cuisine ?

Il la cherchera dans sa table de chevet car il ne sait pas qu’Alice l’a déplacé. Cette observation, qui peut sembler anodine, contient une distinction essentielle : il y a une différence entre la réalité et la façon dont Bob se la représente. Il y a, dans la tête de Bob, un modèle qui est vrai si et seulement si il correspond à la réalité.

L’énoncé « le chargeur est dans la table de chevet » (modèle) est vrai si et seulement si le chargeur est effectivement dans la table de chevet (réalité).

Il y a là un critère objectif, extérieur au mental, qui permet de juger de la véracité des énoncés et des modèles. Le chargeur et la table de chevet sont des objets bien physiques dont la relation peut se vérifier en utilisant nos cinq sens. Ainsi, lorsque Bob remarque que le chargeur n’est plus là où il l’avait laissé, il se rend compte que son modèle était faux et le met à jour.

Comme l’a dit Philip K. Dick, « la réalité est ce qui ne disparaît pas quand on arrête d’y croire ». On aura beau nous persuader que la Tour Eiffel est au Caire, elle n’en demeurera pas moins à Paris. Quand on croit qu’il va se passer une chose, et qu’il s’en passe une autre, nous sommes forcés de constater qu’il existe quelque chose d’indépendant de notre volonté qui a déterminé ce résultat imprévu.

(Cette définition de la réalité est volontairement très large. Certaines personnes argumentent en disant que peut-être que le monde qui nous entoure n’est qu’une hallucination. Même si c’était le cas, il n’empêche que ces hallucinations sont indépendantes de notre volonté. C’est une question qui n’a donc aucun impact sur la façon dont nous devons définir la vérité, bien qu’elle puisse par ailleurs avoir de l’intérêt pour d’autres questions.)

Ce qu’il faut avant tout retenir est que, de la même manière que le mot « amour » désigne une relation entre deux personnes, et « implication » une relation entre deux propositions, « vérité » désigne une relation entre un modèle et un fait réel. Un énoncé est vrai s’il correspond à la réalité, s’il lui est conforme. Ou, selon la formule classique, Veritas est adæquatio rei et intellectus, la vérité est l’adéquation entre la chose et l’intellect.

Cependant, cette correspondance est nécessairement limitée. Même si Bob a un excellent modèle de son chat, il peut prendre son chat dans ses bras mais non le modèle, car le chat est une créature physique là où le modèle est abstrait. Son modèle ne contient pas non plus le nombre précis de poils de la fourrure du chat, ni leur longueur, ni leur inclinaison, etc. Il est à la fois abstrait et simplifié ; tout le contraire du chat.

Le peintre René Magritte a exprimé cette idée dans son tableau La Trahison des Images.

La Trahison des Images

« Ceci n’est pas une pipe » dit le tableau. En effet, les pipes sont des objets physiques qui peuvent être saisis. Elles peuvent être remplies de tabac et fumées, ce qui n’est pas le cas du tableau. (De même, « ceci n’est pas un tableau », mais un fichier informatique qui en reprend le contenu.)

Notre mental ne peut pas contenir toutes les nuances du monde matériel, d’autant que celui-ci change en permanence. Nos modèles ne peuvent donc être que simplifiés. On utilise parfois la métaphore d’une carte et d’un territoire.1 La carte modélise le territoire mais d’une manière très schématique. Si elle le représentait sans le simplifier, en gardant absolument toutes les informations, alors elle ferait la même taille que celui-ci et changerait en temps réel. La carte n’est pas le territoire, mais le territoire ne tient pas dans notre boîte à gants.

1. Cette métaphore est souvent attribuée à tort à Alfred Korzybski. En réalité, cette idée avait déjà été formulée par les logiciens bouddhistes. Voir Pitirim Sorokin, Fads and Foibles in Modern Sociology and Related Sciences, p. 8.

Chapitre 3 : Isomorphisme

On peut légitimement se demander ce que la carte et le territoire peuvent bien avoir en commun. Si la première est abstraite et schématique, alors que le second est concret et fourmillant de détails, quelle peut être la nature de leur relation ? Nous voulons éclaircir la notion floue de « vérité », nous devons donc nous assurer de ne pas la remplacer par une « correspondance » qui le serait tout autant.

La réponse est que la carte et le territoire partagent une même structure, une même forme. Ils sont isomorphes. Les différents éléments de la carte, comme les villes, les forêts, les routes, etc., correspondent effectivement au territoire s’ils sont bien placés les uns par rapport aux autres et dans les bonnes proportions. Par exemple, si la ville est entre la plage et la forêt, une carte qui placerait la forêt entre la plage et la ville serait fausse. De même, si la ville est deux fois plus éloignée de la plage que de la forêt, une bonne carte doit également respecter ces proportions. Ce sont les relations entre les différents éléments du territoire que la carte reproduit.

Pour prendre un exemple moins matériel, Bob est marié si le sujet Bob a pour caractéristique d’être marié. Ce n’est pas une proportion physique mais bien la relation entre un sujet et un prédicat qui est commun à la carte comme au territoire.

Cela permet aussi aux vérités de perdurer dans le temps malgré l’aspect constamment changeant du monde sensible. Bien que « l’on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve » (Héraclite) parce que celui-ci change en permanence, il n’en garde pas moins une certaine structure qui persiste dans le temps.

La simplification vient du fait que ces éléments sont souvent eux-mêmes composés. La ville est faite de rues et de maisons, la forêt d’arbres et de clairières, etc. Pour autant, une carte peut tout à fait réduire la ville à n’être qu’un point et la forêt une zone verte uniforme. Celui qui construit la carte choisit donc son niveau d’analyse, son « échelle ». Une autre carte pourrait parfaitement se donner pour objectif de dépeindre les rues d’une ville, mais son échelle serait trop détaillée pour quelqu’un voulant traverser le pays. De même, un chef cuisinier et un aquariophile auront des cartes très différentes des mêmes poissons ; le premier se concentrera sur leur composition interne et les recettes dans lesquelles il peut les préparer alors que le second accordera une plus grande importance à l’environnement dont ils ont besoin pour s’épanouir. Pour autant, ces deux cartes restent valides ; elles correspondent simplement à des points de vue différents. Les cartes sont produites, elles sont le résultat d’analyses du territoire, et toute analyse présuppose un point de vue. Cependant, cela ne revient pas à tomber dans le relativisme : pour chaque point de vue, les cartes peuvent être plus ou moins vraies, correspondre plus ou moins à la réalité.

On peut dire qu’une proposition est vraie si et seulement si elle exprime une structure qui correspond effectivement à une structure (et non "la" structure) du fait qu’elle cherche à décrire. Cette identité de forme est le critère nécessaire et suffisant de la vérité, c’est-à-dire que s’il est absent, il n’y a pas de vérité, mais s’il est présent, alors il n’y a besoin de rien de plus pour établir qu’il y a bel et bien vérité.

Cela implique que la vérité des propositions n’est pas quelque chose qui leur est intrinsèque ; il y a toujours un critère extérieur à partir duquel on peut les vérifier. La présence d’un tel critère signifie que modifier la carte ne suffit pas à modifier le territoire, que les ruines du Parthénon ne cesseront pas d’être en Grèce même si l’on arrive à se convaincre qu’elles sont en Tasmanie. Cela permet aussi de se souvenir que l’on est susceptible d’avoir tort, que ce n’est pas parce que notre modèle interne dit une chose que le réel ira dans son sens.

Enfin, cela permet également de se souvenir qu’il est possible que les autres aient tort. Il y a là un certain danger, dans la mesure où celui qui apprend à reconnaître les erreurs de raisonnement est tenté de les chercher chez les autres plutôt que pour corriger les siennes, ce qui éloigne de la vérité au lieu d’y ramener. Cependant, cela a un avantage : il devient possible de dépasser les différences d’opinions. Si Bob dit une chose et qu’Alice dit son contraire, il faut se référer au critère extérieur pour trancher. Le progrès commun devient possible ; c’est là que commence le projet socratique.

Chapitre 4 : Autres usages du terme

Le mot « vérité » n’est pas utilisé que pour parler du rapport de certaines propositions à la réalité. Il est également utilisé pour désigner des choses. Comment peut-on utiliser une expression comme « un véritable ami » ? L’ami n’est pas une proposition, comment peut-on dire qu’il correspond à la réalité ? De plus, Vérité est l’un des noms de Dieu.

Il faut d’abord comprendre que le terme de « forme » n’est pas neutre. Elle renvoie à la doctrine métaphysique du réalisme, qui considère que les structures dont il est question existent réellement, bien que de manière immatérielle. Les formes se manifestent dans des choses matérielles, mais elles ne le sont pas elles-mêmes. Par exemple, tous les triangles (euclidiens) manifestent la forme du triangle, qui a certaines propriétés intrinsèques, comme que la somme de ses angles donne 180°. De même, tous les chats manifestent la forme du chat, et toutes les pommes celle de la pomme. De même que la lumière blanche est décomposée en arc-en-ciel par un prisme, ces formes sont manifestées en une multitude d’êtres par le prisme de la matière. On peut également dire que les formes sont les idées de Dieu, les archétypes, à partir desquels il crée les êtres matériels, qui manifestent tous les caractéristiques des archétypes desquels ils dérivent.

Nous devons nous en tenir ici à une présentation très rudimentaire du réalisme car il s’agit d’une doctrine complexe et que la traiter avec tout le sérieux qu’elle demande nous éloignerait considérablement de notre sujet. Il suffit de dire qu’elle est partagée par tous les peuples à l’exception des Modernes, non pas parce qu’ils ont développé un autre modèle mais bien car ils ont délaissé la métaphysique de manière générale.

Il y a là une difficulté pour les Modernes : leur conception de la vérité a des implications logiques qui viennent secouer jusqu’aux fondements mêmes de leur vision du monde. La plupart n’en ont pas conscience car ils ne pensent pas à ces choses avec la clarté nécessare. Ceux qui font de la philosophie et qui en ont conscience cherchent soit à créer des modèles alternatifs de la vérité, soit à détacher la compréhension traditionnelle du réalisme. Traiter de ces efforts nous emmènerait trop loin, mais nous pouvons au moins dire que les résultats sont pour le moins mitigés.

De ces considérations, nous pouvons conclure que la notion de « vérité » ne s’applique pas seulement aux relations entre des modèles abstraits et la réalité concrète, mais également au sein de cette réalité elle-même. Les choses correspondent plus ou moins à leurs formes respectives. Nous en revenons à l’exemple du « véritable ami », qui est celui dont le comportement se rapproche de la forme idéale de l’amitié. À nouveau, la vérité est une propriété des relations, ici de la chose à l’idéal duquel elle tire sa forme.

Il y a là quelque chose qui permet de se mieux comprendre l’unité fondamentale qui unit le bien, le beau et le vrai. Le véritable ami est aussi le bon ami. De même, un chat malformé n’est pas seulement moins beau qu’un chat sain ; il est également un moins bon chat, et un chat moins "vrai", c’est-à-dire qu’il correspond moins à la forme du chat. On pourrait dire qu’il est moins chat.

Les expressions de type « un véritable ami », ou « le vrai communisme », s’avèrent donc parfaitement légitimes une fois que les ramifications métaphysiques de la notion de « vérité » sont explicitées. Elles ne constituent pas des abus de langage.

Passons maintenant à la Vérité en tant que nom divin.

Tous les chats participent à la forme du chat, qu’ils réalisent plus ou moins totalement. Chaque forme que l’on retrouve ainsi dans une multitude de cas distincts constitue ce que l’on appelle un « universel ». Il y a un universel des chaises, un des chateaux de sable, un autre des galets… Il en va de même pour les actions : universel du combat, de la course à pied, de la conquête… C’est justement pour cette raison que l’on peut en parler en utilisant des noms communs, d’ailleurs. S’il n’y avait que des événements uniques, sans récurrences, toute généralisation serait impossible.

En appliquant ce raisonnement au cas de la vérité, on se rend compte qu’elle constitue également un universel. À chaque fois qu’un modèle correspond à la réalité, on retrouve la même relation, la même structure. Si ce n’était pas le cas, on ne pourrait pas parler de la vérité en général, comme on le fait ici. Il y a donc une forme du vrai.

C’est de cela que l’on parle quand on dit que Vérité est l’un des noms de Dieu : il est la forme du Vrai. (Pour la même raison, il est également la forme du Bien et du Beau.) Cette assimilation est affirmée par les Révélations et peut être confirmée par la raison. Si la vérité est la relation entre les formes et leurs manifestations, alors elle est quelque chose qui se rapproche fortement des fondements métaphysiques de notre monde.

Il est également essentiel de comprendre que la vérité abolit la distinction entre le sujet et l’objet. Si le modèle et la réalité sont isomorphes, c’est que la forme est à la fois dans l’un et dans l’autre. Le sujet assimile quelque chose de l’objet tout en s’identifiant à lui. Ce « quelque chose » fait désormais partie de lui d’une manière très concrète. Il y a donc identification par la connaissance. Pour cette raison, l’universel du Vrai ne saurait être que le Grand Tout.

Conclusion

La vérité est une propriété des relations entre une chose et une forme. Dans son acceptation la plus courante, la chose en question est un modèle mental, une idée. L’idée est vraie dans la mesure où elle correspond à une forme réelle. On peut également dire qu’une chose est vraiment X ou Y dans la mesure où elle est isomorphe avec ce X ou ce Y.

Cette relation est similaire à celle qui relie une carte et un territoire. Ils ont la même forme mais le reste de leurs caractéristiques sont différentes. La carte peut refléter plus ou moins bien le territoire, tout comme nos idées peuvent être plus ou moins vraies. Modifier la carte ne modifie pas le territoire, tout comme changer ce que l’on croit ne change pas la réalité concrète des choses.

Cela dit, il faut garder à l’esprit que ce qui précède n’est qu’une présentation générale, que l’on espère relativement intuitive, de la nature de la vérité. Ce simple exposé est susceptible d’un certain nombre d’extensions afin d’élucider divers problèmes et cas pratiques. Par exemple, il y a un certain nombre de propositions dont la correspondance à la réalité n’est pas claire. On peut citer, par exemple, les faits négatifs, comme « les licornes n’existent pas » ; les faits disjonctifs, comme « la pièce tombera sur face ou sur pile » ; ou encore les faits conditionnels, comme « si il pleut, la chaussée sera mouillée ».

De plus, les philosophes contemporains ont présenté des théories alternatives à la compréhension traditionnelle de la vérité (renommée pour l’occasion « théorie correspondentiste ») et les ont défendues avec des arguments. Ces alternatives sont restées minoritaires et leurs objections ne sont jamais parvenues à faire tomber la compréhension traditionnelle de son piédestal, mais il pourrait être intéressant de faire le point.