Art
Brochure publiée le 07/01/2025.
Table des matières
- Avant-propos
- Introduction
- Chapitre 1 : Artisanat
- Chapitre 2 : Art et nature
- Chapitre 3 : Le Beau
- Chapitre 4 : Apollon et Marsyas
- Conclusion
Avant-propos
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Les brochures véristes sont une série de documents visant à aider ceux qui veulent se joindre à notre combat par le partage d’informations. Nous encourageons ceux qui ne nous connaissent pas à se renseigner avant de les lire.
Pour résumer, nous considérons que l’écologie profonde est la problématique la plus urgente de notre temps et que sa cause est la vision du monde matérialiste qui est dominante à notre époque. Pour faire face à cette crise, nous appelons à la formation d’une élite qui fondera un réseau de villages susceptible de résister à l’effondrement à venir et de faire surgir une nouvelle civilisation de ses cendres. Celle-ci aura nécessairement pour socle une spiritualité authentique.
Ces brochures ont donc deux objectifs. Le premier est de résumer notre position sur un ensemble de sujets afin que nos membres et sympathisants puissent se faire une idée claire de notre projet de société. Sans projet commun, l’action commune n’est pas possible ; il faut donc se coordonner et s’organiser. Le second est de leur donner des outils pour contribuer efficacement à la réalisation de notre grand projet.
Bien que le public cible soit nos membres et sympathisants, le contenu de ces brochures n’est pas secret. Elles peuvent être lues par n’importe qui souhaitant se renseigner sur notre mouvement.
La reproduction et la copie de ces brochures est autorisée aux conditions suivantes : que le texte ne soit pas modifié, qu’il soit explicitement attribué au mouvement vériste, et que la distribution n’engendre aucun profit.
Introduction
L’historien de l’art Ananda K. Coomaraswamy a dit : « L’art était autrefois un mode de vie ; il est aujourd’hui devenu une superstition. »1 Par « superstition », il entendait le sens étymologique de ce terme, qui est celui de « survivance » : l’art est un vestige d’une époque révolue, un mot archaïque qui renvoie à une conception dont le véritable sens a été oublié. Il aurait aussi pu dire que l’art est devenu un culte du cargo : on répète mécaniquement les gestes sans se rendre compte que leur substance n’y est pas, produisant une ridicule pantomime.
En réalité, l’art est un véritable mode de vie, qui traverse chaque partie de l’existence humaine dans une civilisation normale ; le fait qu’il soit aujourd’hui mis à l’écart dans une sphère séparée du reste est un signe de plus du caractère déviant de la civilisation moderne. Plus encore, il s’agit d’un signe de son caractère inhumain, car vivre entouré d’objets d’arts est ce à quoi aspire toute personne normalement constituée.
Nous allons ici aborder certaines notions de base sur l’art afin de remettre cette notion à l’endroit en dissipant un certain nombre de mythes. Bien que le premier que nous attaquerons est sa réduction aux beaux arts, c’est bel et bien sur ceux-ci que nous nous concentrerons par la suite, car le fait est que c’est avant tout à eux que le terme « art » est aujourd'hui associé, et donc sur eux que le lecteur voudra des éclaircissements.
1. Ananda K. Coomaraswamy, article "Is Art a Superstition, or a Way of Life?".
Chapitre 1 : Artisanat
Étymologiquement, « art » signifie « technique », ars étant l’équivalent latin du grec tekhné. On retrouve ce sens dans des termes comme « artificiel », qui signifie « produit par l’art », ou dans des expressions comme « arts et métiers ». Celui qui travaille le bois ou le métal est tout autant un artiste, un artifex, qu’un peintre ou un musicien. Un vélo, en ce qu’il est artificiel et non naturel, est un objet d’art. Il a été produit par la technique, par un savoir-faire, et non par la nature.
Aujourd'hui, l’usage est de séparer les arts en deux. Il y a d’un côté les arts appliqués, c’est-à-dire l’artisanat, et de l’autre les beaux arts. Ceux-ci sont strictement séparés, formant deux sphères parfaitement distinctes. De plus en plus, un glissement sémantique s’opère qui fait que seuls les beaux arts sont réellement considérés comme artistiques.
C’est ainsi que l’on peut trouver en France la loi dite du « 1 % artistique », qui veut que 1 % du budget de toute création architecturale publique soit dédiée à la création d’une œuvre d’art plastique. En réalité, l’architecture est déjà un art, ce qui signifie que le budget est déjà dédié à la création d’une œuvre.
Cette méprise s’explique sans doute par la disparition de l’artisanat au profit de l’industrie. L’artisan conçoit d’abord l’œuvre dans sa tête avant de la réaliser avec ses mains. C’est la première étape, la conception, qui est proprement technique. La deuxième n’est que labeur, du travail d’esclave, mais il n’y a aucun problème à être son propre esclave. L’industrie sépare les deux, réservant le travail de conception à un petit nombre et réduisant nombre d’hommes à des travaux serviles en usine, à des gestes mécaniques et répétitifs qui ne sont pas ceux de l’artiste mais bien de l’hilote.2
L’architecte romain Vitruve disait qu’il y a trois facteurs qui font la qualité d’un ouvrage d’art, classés par importance décroissante. Tout d’abord, l’objet doit bien remplir sa fonction : la maison doit être habitable, le manteau doit bien protéger des intempéries, les lunettes doivent corriger la vision, etc. Ensuite, il doit être solide et perdurer dans le temps. Finalement, il doit être beau.
Ce critère de beauté s’explique par son contexte, où l’on considérait que l’homme a trois types de besoins : physiques, psycho-émotionnels et spirituels. Le beau appartient à la troisième catégorie, il est un besoin spirituel. Un bon objet d’art doit chercher à satisfaire l’homme dans sa globalité et pas seulement son corps ; c’est alors qu’il devient réellement digne des êtres humains. Une chaise peut, et devrait, être une œuvre d’art.
La véritable différence entre les arts appliqués et les beaux arts est que les seconds ne s’occupent pas des besoins du corps, alors que les premiers le font. Loin d’impliquer une sorte de supériorité des beaux arts, qui justifierait qu’eux seuls soient qualifiés d’artistiques, cela indique au contraire que l’artisanat est l’approche la plus complète, celle qui est susceptible de remplir au mieux la vie des personnes avec des choses belles et profondes.
Pour ne donner qu’un seul exemple, les maisons sont aujourd'hui isolées avec des matériaux comme du polystyrène, qui remplissent bel et bien leur rôle thermique, mais sans plus. Durant la période médiévale, au contraire, l’isolation se faisait (notamment) en décorant les murs avec des tapisseries, dont les motifs avaient un caractère éminemment artistique, et qui pouvaient être remplacées de manière régulière. Même si le polystyrène présente un gain marginal en termes purement matériels, son utilisation se fait aux dépens de la satisfaction des besoins supérieurs de l’être humain, qui devront être comblés autrement.
Les Modernes opèrent une distinction entre art et décoration. Il y aurait des œuvres d’art, des objets de décoration, et les deux n’auraient rien à voir entre eux. Cela amène à une situation où certaines œuvres sont créées spécifiquement pour être exposées dans des galeries ou des musées, ce qui est un contre-sens. Dans toute société normale, l’art et les objets du quotidien ne font qu’un ; la décoration avait un caractère artistique indiscutable. Les œuvres des siècles passées qui emplissent nos musées d’histoire de l’art étaient, dans leur écrasante majorité, autrefois utilisées dans un cadre privé. Les retirer de ce milieu revient à les dénaturer. À partir du moment où l’art quitte notre quotidien pour être cantonné à des musées et des expositions, il perd sa raison d’être pour ne devenir qu’un jouet dans les mains des classes possédantes ; jouet à la fois émotionnel, pseudo-intellectuel, et surtout financier.
2. Hannah Arendt désigne l’artisan traditionnel « homo faber », et l’esclave moderne « animal laborans ». Le premier est un homme dans une activité de fabrication, le second un animal dans une activité de labeur, plus proche d’un bœuf tirant une charrue que du premier.
Chapitre 2 : Art et nature
L’art s’oppose à la nature, l’artificiel s’oppose au naturel.
Nous avons vu la définition d’art, mais il faut garder à l’esprit que le terme « nature » a plusieurs sens et des significations différentes en fonction du contexte. Dans celui qui nous intéresse, il ne désigne pas ce qui se passe sans intervention humaine mais la réalisation d’essences internes aux choses.
Prenons l’exemple d’un chêne et d’une chaise. Le chêne se développe spontanément, de lui-même ; à un certain niveau, il est déjà dans le gland duquel il sort, dont il n’est que le développement naturel. De même, il se nourrit de lui-même, grandit de lui-même, et se reproduit de lui-même ; ce sont des tendances qui découlent directement de ce qu’il est.
En revanche, lorsqu’un bucheron l’abat pour en faire une chaise, il n’y avait aucune tendance naturelle et spontanée du chêne à finir en chaise. Cette dernière n’était pas dans le gland, mais dans le bucheron. Elle est imposée du dehors au lieu de surgir du dedans. Dans les deux cas, on a affaire à une forme, à de l’information, mais dans le premier cas, elle provient d’une tendance naturelle de la chose elle-même, alors que dans le second cas, elle est le produit d’un savoir-faire humain, et donc de l’art. La chaise est artificielle, elle est un artefact, alors que ce n’est pas le cas du chêne.
Si l’on applique cette distinction, alors il y a de nombreuses choses faites par l’homme qui n’en demeurent pas moins naturelles, alors que d’autres auxquelles il n’a jamais touché ne méritent pas ce qualificatif. Par exemple, si un éboulement amène à ce que des pierres chutent de manière à former un fauteuil, cette formation n’en sera pas naturelle pour autant, du moins pas dans le sens qui nous intéresse. Les pierres n’ont aucune tendance intrinsèque à former des fauteuils ; cet arrangement serait purement accidentel.
En revanche, la domestication du maïs ou la création d’une nouvelle race de chiens n’amènent pas à la production d’artefacts, du moins pas au sens fort du terme. Ce sont des processus qui font advenir des potentialités qui étaient déjà présentes dans les natures respectives des espèces d’origines. Ce n’est pas un ordre extérieur, imposé du dehors, mais la manifestation d’un certain ordre interne qui a toujours été là, en potentialité. Pour la même raison, on ne peut pas réellement dire que le plastique soit un matériau « artificiel », même s’il est synthétisé en laboratoire. L’art a certes joué un rôle dans la façon dont il est advenu, mais il n’en représente pas moins la manifestation d’une tendance naturelle.
Malgré tout, on peut dire que leur création est une forme d’art, puisque l’on apporte une aide artificielle aux processus naturels. Cependant, ces derniers restent premiers. C’est notamment le cas dans la médecine : une atèle est un élément artificiel mais dont le rôle est de permettre au corps de reconstituer ses forces naturellement, c’est-à-dire selon ses propres tendances internes, celles qui sont inscrites dans sa nature. La guérison a toujours été dans le bras, on l’a simplement aidée à se manifester, tout comme le doberman a toujours été présent dans les chiens.
La chimie semble entrer dans ce cadre. On pourrait dire que le chimiste ne fait que créer artificiellement les conditions pour que les potentialités naturelles de différents éléments chimiques puissent se réaliser. Les anciens alchimistes considéraient d’ailleurs qu’ils ne faisaient qu’imiter les processus naturels qui se déroulaient à l’intérieur de la Terre, par exemple pour produire de l’or à partir d’autres métaux. Il reste à déterminer dans quelle mesure on peut considérer qu’un alliage ou un plastique constituent des formes accidentelles ou une continuation de tendances naturelles ; il y a là des investigations philosophiques qui n’ont pas encore été complétées.
Bien que cette distinction entre naturel et artificiel soit celle que les Anciens utilisaient le plus généralement, elle n’est pas la seule possible. Les conditions d’existence du monde contemporain en ont vu apparaître une autre : est naturel ce qui existe autour de nous depuis des millions d’années, voire des milliards, et est artificiel ce qui y a été rajouté récemment par les humains. Cette distinction vise à la gestion des risques. Nous savons déjà que l’humanité peut exister, et même prospérer, au contact des éléments qui l’ont toujours entourée, et ils sont donc appelés « naturels ». En revanche, les effets des nouveaux éléments sont beaucoup plus incertains, ce qui justifie une certaine méfiance.
C’est en ce sens que l’on parle de « produits d’origine naturelle », de « médecine naturelle », etc. Ces catégories n’ont pas tant pour but d’indiquer dans quelle mesure ils sont artificiels, mais bien plutôt dans quelle mesure ils se reposent sur des éléments qui ont déjà montré être sans grand danger. C’est d’ailleurs dans ce sens qu’ils sont utilisés. Les personnes qui achètent des produits « naturels » le font généralement parce qu’elles les considèrent comme plus sains, meilleurs pour la santé, etc.
C’est là un raisonnement qui se tient tout à fait, en raison de l’effet Lindy, même s’il a certaines limites bien connues. Les champignons vénéneux sont tout à fait naturels, mais impropres à la consommation. En ce qui concerne le présent exposé, nous pouvons simplement remarquer que, même s’il utilise les mêmes termes, il ne parle pas tout à fait de la même chose et se désintéresse de l’artificialité « intrinsèque » des produits, qui n’est pas son problème.
Chapitre 3 : Le Beau
Le but des beaux arts est d'illustrer de la meilleure façon l'essence de la réalité. Les choses qui nous entourent sont un mélange de propriétés essentielles et accidentelles, mais par l’art, on peut éliminer les secondes pour ne garder que les premières.
Par exemple, une révolution réelle est entrecoupée d’événements sans rapport, comme de moments où les révolutionnaires vont aux toilettes, dorment, etc. Par l’art, on peut illustrer une révolution en éliminant tous ces éléments qui viennent la diluer pour donner quelque chose de beaucoup plus pur, plus concentré, qui permette de mieux saisir l’essence de la révolution. Les beaux arts sont un minimalisme : l’œuvre est terminée non pas quand il n’y a plus rien à ajouter, mais quand il n’y a plus rien à retirer, comme le disait Antoine de Saint-Exupéry. C’est là le vrai sens du terme grec de « mimesis » : non pas représenter les choses qui nous entourent, mais saisir leur essence. Le bon artiste « grossit le trait » : il met l'emphase sur ce qu'il y a d'essentiel dans la réalité et minimise ce qui est secondaire.
C’est en ce sens que le beau et le vrai sont un. La belle représentation d’une chose nous offre sa vérité. Le beau cheval est le vrai cheval, il exprime bien l’essence du cheval, de la même manière que le vrai ami est celui qui exprime bien l’essence de l’amitié.
Cela explique également que représenter des choses qui sont laides dans la vraie vie puisse amener à un résultat esthétiquement plaisantes : ce n'est pas la chose représentée qui est belle, mais nous la comprenons mieux du fait qu'elle ait été réduite à son essence, ce qui est plaisant.

Frieren. Les limites techniques de l’industrie de l’animation amènent souvent à des représentations épurées, donc esthétiquement intéressantes.
Pour les beaux arts, le monde sensible représente le niveau zéro. Il est ce mélange d’essentiel et d’accidentel qu’il faut chercher à dépasser. Ainsi, les œuvres « réalistes » ou « naturalistes », par exemple celles du mouvement hyperréaliste, n’ont aucun intérêt. Elles sont le niveau zéro, une sorte de psittacisme, une copie de ce qui nous entoure par des gens n’ayant pas la force intérieure d’opérer un véritable tri entre ce qui doit rester et ce qui ne le doit pas. Trop de détails inutiles viennent parasiter la représentation. Si une œuvre naturaliste est belle, c’est uniquement dans la mesure où ce qu’elle représente est déjà beau de base ; il n’y a aucune plus-value artistique. Le cheval peint n’a aucun avantage par rapport au cheval réel. Une telle œuvre est plus proche de la photographie documentaire, à une époque où la photographie n’existait pas, que d’un travail artistique. Le travail d’épuration est manquant.

Tableau hyperréaliste de Juan Francisco Casas. Le niveau zéro.
Il y a pire que le « naturalisme ». Tout d’abord, il y a les œuvres qui, loin d’éclaircir l’essence de ce qu’elles représentent, la dissimulent en ajoutant des fioritures qui ne se trouvent pas dans la nature. Il y a là une sorte d’anti-mimésis qui, au lieu de faire ressortir plus vivement la forme de ce qui est représenté, la rend encore plus floue que dans le monde sensible. On peut dire de ces œuvres qu’elles sont laides, voire qu’elles sont pathologiques, dans la mesure où leurs créations sont indicatives de l’état intérieur de leurs créateurs.

Tableau de Zdzislaw Beksinski. La représentation est confuse et masque l’essence qu’elle est censée mettre en avant. Le niveau -1.
Le pire type de nullité dans les beaux arts est l’amorphe, ce qui ne représente rien, où ce n’est pas seulement que la forme est voilée, mais bien qu’elle est positivement inexistante, que rien n’est représenté. On peut parler d’un véritable néant créatif. C’est le genre d’œuvres qui existe dans l’art contemporain et qui obtient le rejet des foules. Les tentatives d’en redorer le blason consistent surtout à broder sur leurs métadonnées, comme le contexte historique, la vie de l’auteur, etc., plutôt que de parler des caractéristiques intrinsèques de l’œuvre.

Tableau de Jackson Pollock, ne représente rien de concret. Le niveau -2.
On peut noter que cette échelle colle assez bien à la popularité des œuvres, parce que l’être humain sait reconnaître le beau de manière plus ou moins instinctive, même s’il ne sait pas se l’expliquer. Les visuels de type manga sont beaucoup plus populaires que l’hyperréalisme ou les types d’œuvres que nous avons identifiés comme laids.
En revanche, il y a une autre forme d’œuvres qui posent problème, à savoir celles qui sont radicalement différentes du monde sensible. La fuite de la réalité pour lui préférer des mondes imaginaires est typique d’une certaine forme de pathologie, plus ou moins dépressive. On entre dans ce que Pascal disait du divertissement, à savoir qu’il est un moyen d’oublier notre condition. C’est notamment le cas du mouvement surréaliste ainsi que d’un certain nombre d’œuvres plus populaires, comme les isekai. Contrairement aux formes précédentes de laideur, celle-ci a une certaine popularité car le peuple, actuellement en souffrance, se repose sur cette évasion comme sur un « opium ».

La Persistance de la Mémoire de Salvador Dali, œuvre représentative du surréalisme.
Pour finir sur ce point, on peut préciser que les œuvres visuelles comme la peinture et la sculpture représentent des choses, comme des personnes ou des chevaux, alors que le théâtre, le cinéma, la littérature, représentent des « actions » ou des caractères, comme la révolution, le deuil, le passage à l’âge adulte, etc.
Chapitre 4 : Apollon et Marsyas
Selon un mythe grec, le dieu solaire Apollon, qui représente la raison, l’ordre, le contrôle, la sobriété, affronta le satyre Marsyas, qui représente l’émotion, le chaos et l’ivresse, dans un concours de musique, avec les Muses pour juges. Apollon fit un morceau très contrôlé et cognitif, dans la continuité de ce que l’on a dit précédemment, alors que Marsyas joua quelque chose de très dansant qui provoqua une sorte de frénésie parmi le public. Apollon fut déclaré vainqueur et Marsyas fut écorché, c’est-à-dire qu’on lui arracha sa peau, en châtiment pour avoir osé défier le dieu.
Ces deux figures représentent les deux aspects des beaux arts, à savoir le cognitif et l’émotionnel. Ils sont présentés en conflit, mais en pratique, ils sont souvent complémentaires. Le vieil adage comme quoi la rhétorique consiste à « plaire et instruire » s’applique aussi bien aux beaux arts. Son but est avant tout d’instruire ; en nous dévoilant l’essence des choses, l’artiste nous instruit à leur sujet. Cependant, un art purement cognitif et minimaliste, comme ce que l’on trouve dans la grotte de Lascaux, a également quelque chose d’austère qui ne plaît pas à la plupart des gens. Ainsi, il faut les appâter avec quelque chose de plus émotionnel.
Cependant, il faut garder à l’esprit que les deux ne se valent pas, comme le dit le mythe grec. Une œuvre purement cognitive peut exister et être belle, mais des œuvres purement émotionnelles dégénèreraient en une sorte de « cinéma sentant », en un hochet émotionnel qui ne dit plus rien et est donc dénué de toute beauté, de toute vérité. Par exemple, dans une telle perspective, le cinéma lui-même se réduirait de plus en plus à des sortes de longs clips musicaux.
Dans son arrogance, le philosophe Friedrch Nietzsche s’est dit que les Grecs avaient mal compris leur propre mythe et a décidé de le corriger. Il a remplacé le personnage de Marsyas, un simple satyre, par celle du dieu Dionysos, afin de créer une symétrie entre les deux termes, là où le mythe d’origine la nie explicitement. Cependant, malgré cette faiblesse, il reste le seul parmi les Modernes à admettre que l’art a bel et bien un aspect apollinien.
En effet, les autres disent des beaux arts qu’ils ne cherchent qu’à provoquer des émotions. En cela, ils négligent leur aspect cognitif, leur mimesis, pour les réduire à ce qui devrait normalement être leur aspect secondaire. Les beaux arts ne cherchent plus qu’à plaire, plaire, et encore plaire ; ils deviennent une sorte de flatterie.3
Dans un cadre classique, il est aisé de distinguer les beaux arts des différentes formes de « pornographie ». Les beaux arts visent le beau, et donc le dévoilement de l’essence de quelque chose. Autrement dit, ils ont toujours un sujet. Cela contraste avec les œuvres qui sont faites avant tout pour émoustiller, notamment l’appétit sexuel, bien qu’il puisse y avoir de la pornographie non sexuelle, aussi rare soit-elle. En tout cas, de telles œuvres n’ont aucun propos, elles ne racontent rien. Elles ne cherchent même pas à s’approcher du Beau.
Cependant, dans une conception moderne où les beaux arts visent à provoquer des émotions, la distinction entre les deux est bien moins claire. L’émoustillement est-il une forme d’émotion ? À quel point peut-on distinguer les deux ? Les œuvres étant de manière générale réduites à n’être que de la pornographie sentimentale, il devient difficile de prétendre en exclure légitimement les formes qui n’en diffèrent que légèrement.
D’ailleurs, on peut noter que la luxure traverse l’ensemble de la culture moderne. Les films hollywoodiens contiennent bien souvent une scène sensuelle à la moitié du métrage, sans doute pour garder l’attention du spectateur. Les productions japonaises, dont nous avons précédemment vanté l’aspect épuré, n’en sont pas moins remplies de « fanservice » et autres images de petites culottes et de filles à gros seins. La nudité est omniprésente, notamment dans la peinture et les statues. Toujours et partout, le sexe.
On en revient donc à Marsyas, qui était un satyre, et donc une créature hautement sexuelle. Ce glissement entre la réduction des beaux arts à leur aspect émotionnel et leur saturation par la luxure à terme était donc bien connu des Grecs, ce qui ne devrait pas nous étonner.

Megan Fox dans Transformers, de Michael Bay. Les œuvres de ce réalisateur sont des exemples typiques d’art marsyaque : il y a des bonnasses et beaucoup d’explosions, mais le fond est assez faible. Il n’étonnera personne que Bay ait d’abord été un réalisateur de clips musicaux.
L’aspect émotionnel doit donc être manié avec finesse, sans quoi il finit par tout envahir. Il doit servir le propos et ne jamais chercher à le remplacer. C’est Apollon qui doit rester le maître à bord, Marsyas n’étant toléré que dans la mesure où il lui est strictement subordonné.
Ce n’est pas là une considération morale — bien qu’elle ait ses conséquences pour l’éthique — mais esthétique. Le beau étant dans l’aspect cognitif et apollinien, c’est bel et bien lui qui constitue le fond et qui fait donc la force d’une œuvre. L’émotionnel n’est que de l’ordre de la forme. Si l’idéal est d’avoir un délicieux chocolat emballé dans un joli papier, on pourra se contenter du chocolat seul, mais le papier seul ne présente qu’un intérêt très limité. De même, une œuvre qui ne ferait que surcharger les sens ou jouer sur les émotions sans rien apporter à l’âme ne peut être que du « chewing-gum des yeux » (ou des oreilles).
3. C’est un autre point commun des beaux arts avec la rhétorique. En effet, dans le Gorgias, Socrate dit que la rhétorique dégénère en sophistique lorsqu’elle ne cherche plus qu’à plaire. Il dit alors qu’elle cesse d’être un art pour ne devenir qu’une flatterie.
Conclusion
Nous n’avons présenté ici que des considérations très générales et introductives sur l’art. Celles-ci devraient malgré tout permettre de désamorcer un certain nombre de confusions : ce qu’est l’art, ce qui différencie l’artificiel du naturel, ce qu’est le beau, et la place de l’élément émotionnel dans les beaux arts. Cependant, nombre de questions restent ouvertes. Notamment, il y a un certain nombre de cas-limites où le caractère naturel ou artificiel de l’objet considéré n’est pas clair.
En ce qui concerne les beaux arts, bien que nous ayons dressé les grandes catégories du laid et de l’art pathologique, il pourrait être opportun de donner plus de détails. Même si les plus vifs d’esprit parmi nos lecteurs pourront partir de ces quelques considérations pour en déduire tout le reste, nous aurions tort de partir du principe que ce sera la norme. De même, nous avons surtout appuyé nos exemples sur les arts visuels, avec quelques références aux récits, mais nous avons passé sous silence la couture, la musique, l’architecture, etc. (D’ailleurs, il convient de noter que la classification de l’architecture parmi les beaux arts est abusive : c’est un artisanat.) Nous n’avons également pas traité de leur place dans l’organisation sociale ; les œuvres étant produites par des hommes, on ne peut pas faire l’économie de cette question.
Cela annonce donc un certain nombre de brochures à venir, chaque réponse apportant son lot de nouvelles questions. Le but étant, bien entendu, un renouveau artistique porté par des principes solides pour sortir du marasme et de la médiocrité qui règnent actuellement dans ce domaine.